Trois poèmes inédits
Terra (in)cognita (extraits)
certes la marée basse
est plus immanente que nos jours
défaits de vieillissement et de rides, et la mer transparente
ruisselle par inadvertance, découvrant la chair nue
des grèves froides,
plus féminines que les vents
certes au soir la mer veille, parcellaire et butée
comme une dame éconduisant la terre obsédante
puis chantant les eaux embrumées dans les algues
alors parfois cela monte,
du marais du Launay
aux plages réelles, des talus cernés de fleurs excessives
et guerrières, lançant des javelots
de lumière à la face
des douleurs humaines, bravant
les derniers jugements
puis la terre dénudée cache ses bras ruisselants
et ravale ses sanglots salés et mûrs, brûlant
le sable vivant, où tu pêches les rêves brefs
et définitifs,
avant l’oraison funèbre et la bruyère
les instincts des vagues alors désentourent l’île Bruc
et tu domines la grève bleuie de brume trouble, avec
les maisons blanches, ardoises lourdes, tapies parmi
les côtes verticales
à peine, suggérées par la mer
*
la brume fragilisée obtempère
et dans les creux de l’île aux femmes
l’herbe lucide a fragilisé la lumière
puis des coquillages jonchent les bruyères
et la mer s’assoit sur la plage
enfin arrivée au terme
éboulis de tourbe tombés de la falaise
îles-rochers auréolées d’écume et d’incertitude
les saules laissent place à l’indifférence athée
sur chaque branche des pies tergiversent
et les vaches désapprouvent
ce que le vent renie
les maternités parcellaires ont des syntaxes détruites
pourtant les glycines prospèrent
et cela prend racine au creux des arbres
puis s’envolent les excroissances du soir
quand je passe le gué à temps
des champs de pierres s’installent dans les flaques
et les goémons surnagent un instant
et les échafaudages du temps perdurent sur le visage
parcheminé de la marée montante, et les jeunes noyers
ont bras vides, écorce nue, mer amoncelée sur le ciel
*
dans les herbes de mai après les tempêtes à bout
de souffle je traversais les trois champs descendant
vers la mer – le serpolet dressait la tête –
après j’entendais la rumeur, la lente rumeur
des vagues montantes, et la mer m’habille,
m’illustre, tressant sa marée déferlante
au bord du champ un chevreuil mort-né
attire déjà les mouches noires, et les vaches
s’assoient sans rien dire, près du puits de béton
après les champs la mer s’ouvre, t’accueille
dans la demi-lumière apprêtée, posant sur le sable
la langue de ses vagues, déroulant sa robe verte
où roulent les goémons d’après-tempête, ventés
et charriés à grand renfort d’extravagance, puis tous
les chiens courent sur les plages, hantés d’émotion
*
Anne Barbusse se présente
J’habite dans le Gard où j’enseigne le français langue étrangère aux adolescents migrants. J’écris depuis longtemps mais n’envoie mes textes que depuis le premier confinement de 2020. J’ai publié des textes dans des revues numériques (Recours au poème, Terre à ciel, Sitaudis, Le capital des
mots, Margelles, Lichen, r emue.net, FPM, Incertain regard, La lettre sous le bruit, Région centrale) et dans des revues papier (Arpa, Les hommes sans épaules, Ouste, Décharge, Poésie-Première, La revue des Archers,
Filigranes, Mot à maux, L’air de rien, L’intranquille, Comme en poésie, Traction-Brabant, Cabaret, Nouveaux délits, Haies vives, Contre-allées).
J’ai publié deux recueils, Les quatre murs le seau le lit, aux éditions Encres vives, collection Encres Blanches, en décembre 2020, et en septembre 2021 Moi la dormante aux éditions Unicité. Je traduis aussi de la poésie
grecque moderne (Terre à ciel).