Poème extrait de Le grand imperméable in Ailleurs jusqu'à l'aube (Ed. les hommes sans épaules, 2019) Le grand déblayage On opère à heure fixe le grand déblayage de ceux qui ne s’envolent plus. Je crains d’en faire partie ces temps-ci clouée au sol avec sur mes épaules dépareillées tout mon attirail de ferreuse mes mécanos bleus réversibles mes peignes plombés vieilles épingles à nourrice toutes en grilles branlantes sur kimonos-filipendules à bourdons fers ouvragés ouverts à tout malin émoustillé chaudrons en sorcellerie rails époumonés trouant mes poches pleines de gares… Des tonnes. Et tous les barbelés fichés à la diable dans mes rituels d’un jour, âpre chute des reins, ferrite en suspens sur la langue ferrocyanures. Des tonnes. Première urgence : trouver un bon ferrailleur. Allégez-moi ! Allégez-moi ! Démontez ! Prenez ! Prenez tout ! Je rends tous mes canifs mes toboggans à large spectre mes aiguillages à goût manuel. Le jeune chef de gare – casque léger, grand imperméable, musqué comme il se doit – me déraille quelque peu. En transe sous sa direction maligne et violette le chœur aligné dégage des dents de scie pour découper mes côtes premières — aussi enlacées soient-elles. Qu’importe ! Je rends tout ! Mes pièges à faux torticolis, mes aqueducs à peau légère (avec 3e voyage gratuit) et même la belle ferronnière, toupie de mes nuits, jolie foire à tout ! Prenez ! Prenez ! Allégez-moi ! À présent nue j’ai le tendon amoureux je supplierais presque : Démontez- moi ! Mais les déblayeurs, la main sur leurs jeunes ferroviaires — exercée, la main, habile — disent qu’on ne m’envolera plus. Ils rient comme les bossus cachés dans les chansons sous cape ils chuchotent : Même démontée elle ne vaut pas un clou !