Marie Murski – Le grand déblayage

Poème extrait de Le grand imperméable in Ailleurs jusqu'à l'aube (Ed. les hommes sans épaules, 2019)


Le grand déblayage
 
On opère à heure fixe
le grand déblayage
de ceux qui ne s’envolent plus.
 
Je crains d’en faire partie
ces temps-ci
clouée au sol
avec sur mes épaules dépareillées tout mon attirail
de ferreuse
mes mécanos bleus réversibles
mes peignes plombés vieilles épingles à nourrice
toutes en grilles branlantes sur kimonos-filipendules à bourdons
fers ouvragés ouverts à tout malin émoustillé
chaudrons en sorcellerie
rails époumonés trouant mes poches pleines de
gares…
Des tonnes.
 
Et tous les barbelés
fichés à la diable
dans mes rituels d’un jour, âpre chute des reins,
ferrite en suspens sur la langue
ferrocyanures.
Des tonnes.
 
Première urgence : trouver un bon ferrailleur.
Allégez-moi ! Allégez-moi !
Démontez ! Prenez ! Prenez tout !
 
Je rends tous mes canifs
mes toboggans à large spectre mes aiguillages à
goût manuel.
 
Le jeune chef de gare – casque léger, grand imperméable, musqué comme il se doit –
me déraille quelque peu.
En transe sous sa direction maligne et violette
le chœur aligné dégage des dents de scie
pour découper mes côtes premièresaussi enlacées soient-elles.
 
Qu’importe ! Je rends tout !
Mes pièges à faux torticolis, mes aqueducs à peau
légère (avec 3e voyage gratuit)
et même la belle ferronnière, toupie de mes nuits,
jolie foire à tout !
Prenez ! Prenez ! Allégez-moi !
 
À présent nue
j’ai le tendon amoureux
je supplierais presque :
Démontez- moi !
 
Mais les déblayeurs,
la main sur leurs jeunes ferroviaires — exercée, la
main, habile — disent qu’on ne m’envolera plus.
 
Ils rient comme les bossus cachés dans les chansons
sous cape ils chuchotent :
Même démontée elle ne vaut pas un clou !