La sente
(Seconde version)
Ils s’en venaient au bal de la foire aux mulets
Admirer cette fille et n’osaient lui parler
Ils restaient sur leur faim de ses jupons bouffants
Ils mariaient la voisine et la semaient d’enfants
Mesuraient les arpents de leurs socs bien réglés
Et guidaient aux sillons leurs bêtes d’un pas lent
Sans regret sans remords taiseux comme étranglés
Et leur vie était là qui pesait au palan
Puis ils ont pris la sente aux terres avalées
Par des torrents furieux hérissés de rocs blancs
Tout au bout du vieillu portés par tous les clans
Ils sont à la fraîcheur des tombes de galets
Gérard Camoin – in « Les Sentes bleues » (à paraître)
Odilon
Odilon
Compte les moutons
De ses yeux qui pétillent
Il compte les brebis
Et sourit
Odilon
Dans sa maison de retraite
Au pentu d’un plateau
Où butent les Alpilles
Qu’il veille ou qu’il roupille
Cloué sur une baroulette1
Dans sa chambre de défaite
Odilon
À roulettes
Compte les moutons
Un cochon dans les rastoubles2
Un chien dans les lavandes
Une mouche au plafond
Et Odilon voit un mouton
Les yeux au bleu que rien ne trouble
Dans le bruissement des oliviers
Dans le vent des amandes
Dans le chant des rives des adrets
Odilon
Guette un troupeau
Derrière ses carreaux
Odilon
Attend les moutons
Espère les brebis
Dans son bercaù3 de bastidon
Odilon
N’a pas eu de besson
Pas de frème4 au ventre rond
Ni de bergère alanguie
Dans son lit de Verdon
Les bergers sont les novi5 de leur Étoile
Comme les moines le sont de Marie
La Sainte-Mère des brebis
Qui du bleu du ciel s’est fait un voile
Odilon
Compte les moutons
Et sourit à la vie
Il compte les brebis
Et la mort en vieille amie
Compte avec lui
Gérard Camoin – in « Les Sentes bleues » (à paraître)
1 Une brouette. Par dérivé : une chaise roulante. 2 Champs de blé coupé. 3 Berceau, bercail, domicile. 4 Femme, épouse 5 Nouveau marié
Chat aromatique
Le chat aromatique a fleuri cette nuit
Sur le muret pierreux où coule la glycine
Ses yeux sont tranchelards sous la lune qui luit
Dans le jardin secret quand vient l’heure assassine
Je sais un chat pirate un chat qui s’est enfui
Un félin coquillard qui hante la cuisine
Quand les cuistots fourbus désertent leur usine
Il joue les monte-en-l’air solitaire sans bruit
Il préfère voler qu’attendre la gamelle
Il se bat sous la nue il chasse il est rebelle
Il n’accepte pour lui que rapine qu’il prend
Aux hommes et aux chiens Il lèche sa blessure
Croque sous un rosier quelque bout de fressure
Et rêve de l’Égypte où tous les chats sont grands
Gérard Camoin – in « Le Mouton mécanique » à paraître