Jean-Michel Maubert — Trois poèmes inédits

Photo: A. Rivière Kéraval

[choix de poèmes, extraits de L’autre nuit]

entre les hauts arbres ce ciel :

disons un radiateur éteint

les dieux batraciens sèment

leurs baisers de sang froid

douceur morose grise panique

racines de ton ombre

amarrées à mon corps

fragments d’os mares sans leur ciel

champ de ruines napalm routes brûlées

ville déserte ce grain de lumière

bouche à sa poussière l’amputée dort

tenant entre ses mains un moignon à vif

(telle la cigarette se consumant seule)

tête de vieux rat baiser sur

mes côtes cassées noirs

ces rideaux paradant à la façon

des linceuls

ne reste de ton corps qu’une vaine cérémonie

aime le ver de terre––le crucifié

dans l’apparent silence une rose dans l’eau

décombres des vases bruissements

macadam fêlé  porcelaine

insectes d’or leurs fines armures séchant au soleil ouvertes

suintantes fourmis ça grouille déjà

sur le bitume brouillard matin

chat

feuilles de menthe fraîches fougères

rongeant le corps des fenêtres

une troupe de corbeaux bouge

comme un cirque monotone

cette carcasse de voiture délestée

de ses roues ses vitres rouillant

comme un soleil d’herbes

les murs n’ont plus de saison plus d’assise

des assiettes s’éternisent sur les toits

dans l’ombre soeur des mulots

ouvre le suaire humain

museau de la bête en moi

dont le linge maladif

éponge nos nuits

                                                                                                 [extrait de Fragments des temps d’aphasie]

***

regard noyé larmes du cochon cages hormones synchroniser sperme ses fleurs insémine son âme bouger-non impasse se lever se baisser chier grossir petits tombés dur ce sol aigus d’enfants-groins les cris tremblent nus frêle lueur du placenta trouble lumière matin au couteau puis ça fracasse les crânes des petits tête toute cassée sur béton les plus chétifs les autres couper les queues leur mort proche crochets cisailles se tordre en vain gémir dans la nuit

                                                                                                                      [extrait de Chute : matériaux]

***

il n’y eut bientôt plus que ce sommeil rassis

pour celui qui fut nommé Langlois

ne pouvant fuir les grumeaux noirs

l’hiver des bêtes

l’abîme triste du sang

la neige est devenue brûlante

les arbres bricolés comme des cercueils

le loup pris l’image du frère

l’homme devint le servant d’un blanc labyrinthe

l’amante le perdit

dans la brume épaisse

demeure l’abreuvoir

où gît l’image enténébrée d’un cheval

                                                                                                           [extraits de Venant d’un pays obscur]

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Pour me présenter brièvement :
J’ai publié les textes suivants : Idiome (roman, aux éditions Maurice Nadeau, janvier 2012), Limbes(suivi de) Ronces (récits/romans, éditions Maurice Nadeau, mars 2016), Les cérémonies fanées, Grand Prix de Poésie Joseph Delteil 2017 (édité par La Revue Souffles/Les écrivains Méditerranéens, avec une préface de Christophe Corp), Décombres (novellas, éditions de L’abat-Jour, collection Lumen, novembre 2021), Le sacrifice du géomètre (nouvelles, éditions Sinope, collection Hors sentier, décembre 2022), Fragmentations – d’un corps (poèmes), avec Sophie Patry, plasticienne et photographe – éditions de La page blanche (avril 2023), Solidité des lumières (poèmes), éditions de La
page blanche (décembre 2023).
Né en 1968, j’enseigne la philosophie. Des nouvelles et poèmes ont paru en revues (Triages, Souffles, Hopala, Empreintes, Mots à maux, Wam!, Lichen). Je contribue régulièrement à la revue L’Ampoule des éditions de L’Abat-Jour et suis l’un des rédacteurs de la revue de poésie et de littérature La page blanche – dans la quelle je publie des notes centrées essentiellement sur les relations littérature / poésie / philosophie.