Vin et poésie

Les textes suivants ont été lus par les membres d’OuPoLi le 17 mai 2024, à la cave « La Vie de châteaux » à Quimper.

Vous y trouverez des réflexions poétiques autour du vin de José García Obrero, Rémy Leboissetier, Omar Khayyâm, Marc Alyn, Miguel Angel Real, Jean Claude Crommelynck, Li Po, Hélène Dassavray, Merlin Salerno, Jean-Jacques Brouard et Jesús Cárdenas.

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JOSÉ GARCÍA OBRERO

EL VINO
 
 Yo fui el extranjero del otoño,
la máscara encendida en las bodegas
que trae la floración a los sarmientos
desde una primavera transparente.
Fui el balcón sediento que persigue,
por los bancales negros de la tarde,
el rastro de la crin que te corona,
y arranqué en el racimo de tu lengua
esa luz que destila el abandono.
Mira las manos que brindaban,
vacías de ebriedad y de deseo,
no beberán con ambición las tuyas,
aunque aún sientan latir sobre tu centro
la penumbra febril de unos lagares.
Dos furiosos enjambres en septiembre
libaron nuestro tiempo hasta agotarlo.


LE VIN

Je fus l’étranger de l’automne,
le masque allumé dans les caves
qui apporte la floraison aux sarments
depuis un printemps transparent.
Je fus le balcon assoiffé qui poursuit,
sur les terrasses noires du soir,
la trace de la crinière qui te couronne,
et j’ai arraché dans la grappe de ta langue
cette lumière que distille l’abandon.
Regarde les mains qui portaient un toast,
vides d’ébriéte et de désir,
elles ne boiront pas les tiennes avec convoitise,
même si elles sentent battre sur ton milieu
la pénombre fertile des pressoirs.
Deux essaims furieux en septembre



Traduction: Miguel Ángel Real

De gauche à droite : Rémy Leboissetier, Miguel Angel Real, Jean-Jacques Brouard

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RÉMY LEBOISSETIER

I
vin igné
de noble lignée
qui gardes sous scellé
ton feu solaire – embouteillé

aux sombres jours d’hiver
reviens m’ensaouleiller

II
vin sans apprêt
de franche âpreté
sorti du ventre de la cuve
et parfumant l’air de la cave

c’est bon c’est tannique
– beauté botanique –

III
vin de haute flaveur
bouqueté d’arômes et d’épices
dont on hume l’âme puis
caresse le corps sous la voûte palatine

à tant de rondeur de velouté
le nez se plaît à rester en bouche

IV

vin robuste
qui tarabuste
ou vin taquin
qui t’acoquine

gorge incarnadine
sous sa robe groseille

V
mémoire d’un vin
d’agrément divin
qu’un ami sincère
sortit de sa resserre

un rouge Sancerre
– en pointe de suavité

VI
vin léger gouleyant
en trois lettres – maigrelettes
dispense ta douce ivresse
nommée gaiement « ébriété »

vita breve
… et vite abreuvé

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OMAR KHAYYÂM

29
Personne ne peut passer derrière le rideau qui cache l’énigme ;
Nul esprit ne sait ce qui vit sous les apparences.
Sauf au coeur de la terre, nous sommes sans asile…
Bois du vin !… Ignores-tu qu’à de tels discours il n’y a pas de fin ?


36
Bois du vin… c’est lui la vie éternelle,
C’est le trésor qui t’est resté des jours de ta jeunesse :
La saison des roses et du vin, et des compagnons ivres !
Sois heureux un instant, cet instant est ta vie.

69
Prends soin de me réconforter avec une coupe de vin
Et de donner à ma peau ambrée la couleur du rubis.
Quand je mourrai, lave-moi avec du vin,
Et fais avec du bois de vigne les planches de mon cercueil.


73
Limite tes désirs des choses de ce monde et vis content.
Détache-toi des entraves du bien et du mal d’ici-bas,
Prends la coupe et joue avec les boucles de l’aimée, car, bien vite,
Tout passe… et combien de jours nous reste-t-il ?

97
Va ! Jette de la poussière à la face du ciel,
Bois du vin, étreins la beauté :
Est-ce le moment de la prière et de la supplication
Puisque, de tous ceux qui sont partis, pas un seul n’est revenu ?


127
Boire du vin et étreindre la beauté
Vaut mieux que l’hypocrisie du dévot ;
Si l’amoureux et si l’ivrogne sont voués à l’Enfer,
Personne, alors, ne verra la face du ciel.

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MARC ALYN

Oh ! L’appel de la grive en septembre !
La vigne isolée par la brume et l’orgueil de son fruit
médite grain à grain du vin futur l’énigme
tandis que
d’une branche
un chat de feu bondit.

De l’ivresse à venir le vin déjà est ivre.
Sur la table le pain garde mémoire du blé.
Un poète endormi dans l’arbre devient livre :
qui rêve la forêt prend la forme d’un nid.

Premières rides sur la face de l’eau
où le passé se penche.
Est-ce déjà l’automne ?
Et derrière l’hiver aux joues blêmes ?
Là-haut
un papillon se change en feuille morte.
Personne.

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MIGUEL ANGEL REAL

VINO


Ventana al sur,
caricia de pasados,
paciencia densa.

Imaginando,
el paladar es viento
de despertares.

Núcleo de tiempo,
esfuerzo dibujado
en cada sorbo.

Orilla y viaje,
travesía en un aire
que se ha hecho sueño.


Fenêtre vers le sud
caresse de passés,
patience dense.

On imagine:
le palais est un vent
qui nous réveille.

Noyau de temps,
effort dessiné
dans chaque gorgée.

Rive et voyage,
traversée sur l’air
devenu rêve.



Cette forme poétique s’appelle un SIGLEMA 575 et a été créée par l’auteure vénézuélienne Patricia Schaefer Röder. Le poème est composé d’haïkus de 5,7 et 5 pieds, la première lettre de chaque haïku formant un acrostiche qui reprend le titre du poème.

Plus d’information sur http://siglema575.blogspot.com/ (en espagnol)

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JEAN CLAUDE CROMMELYNCK

Le calice
N’éloigne pas de moi ce calice
où déborde l’ambroisie
ses gouttes qui maculent ma tunique
en font tout l’ornement.
Ma rouge bouche se réjouit du nectar
mes yeux s’y mirent avant que de cligner
et la gorgée inonde mon corps
à l’intérieur vermeil auréolé de son éclat.
Roi ce soir à ce banquet des dieux
pris de vertige face à la profondeur du puits
où s’est noyée la lune
on y aperçoit tout au fond
les galaxies sans souvenirs.

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JEAN-JACQUES BROUARD

Du vin moiré qui étincelle dans le verre où il tournoie, je n’ai rien à dire.
Je n’ai qu’à prendre plaisir, divin plaisir de le sentir, de le humer pour deviner d’où, diable, il
peut provenir. Du terroir qui emplit mon nez, je suis le subtil sentier qui m’emmène vers l’autre
côté, loin des soucis, loin des récifs, des bêtises et des vanités.
Cédant volontiers à son channe, je roule dans les senteurs de bois, de feuilles et de fruits gras.
Et, dans les remous volatils, je chante et me divinifie. Je m’enivre à volupté.
Caresse fluide de la terre, liqueur pierreuse de vent solaire, foudre des éclats d’eau calme,
huile de graines d’air brassé, tu es l’élément qui m’inspire, l’élixir de mon rire, l’essence de ma
joie. Ta robe m’endort en ses reflets et tes parfums me font rêver…

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Le secret du jardin

Le secret du jardin
Le souffle sur les nuages et le soleil me maudit
De lui ôter ainsi ses vêtements d’hiver
Le soir vient se blottir contre les reins de la déesse
La lumière entre sous les frondaisons
Comme en un temple sans dieu
On n’y trouve que des pierres moussues
Le silence établit son empire
Sur tout l’espace des songes
Nous avons le privilège des seigneurs
On se souviendra de nos délires
L’oubli ne nous atteindra pas
Ma pierre dort sous les étoiles
Et j’entends la litanie des arbres

Tu prends la bouteille d’encre
Et tu bois le vin du verre noir
L’étoile éclate dans ton oreille
C’est la lyre d’Orphée
Sur le rocher des rêves
Qui se brise
Le blanc de l’amour inonde
Les azurs démentiels
Qu’il soit nu, l’homme
Et qu’on l’enivre
De poésie et de raisin fou
Dionysos, mon frère
Reviens d’entre les morts
Avec ta sœur éclairée
Son arc est infaillible
Et ses flèches emphiltrées
C’est leur exquis poison
Qui rend la transe orgiaque

Tiré du recueil « Arbres à la dérive »

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LI PO

Libation solitaire au clair de lune
Parmi les fleurs un pot-de-vin :
Je bois tout seul sans un ami.
Levant ma coupe, je convie le clair de lune ;
Voici mon ombre devant moi : nous sommes trois.
La lune, hélas, ne sait pas boire ;
Et l’ombre en vain me suit.
Compagnes d’un instant, ô vous, la lune et l’ombre !
Par de joyeux ébats, faisons fête au printemps !
Quand je chante, la lune indolente musarde ;
Quand je danse, mon ombre égarée se déforme.
Tant que nous veillerons, ensemble égayons-nous ;
Et, l’ivresse venue, que chacun s’en retourne.
Que dure à tout jamais notre liaison sans âme :
Retrouvons-nous sur la lointaine Voie Lactée !

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HÉLÈNE DASSAVRAY

Le vin comme les fleurs
fourreaux d’arômes
robes de couleurs
grise l’esprit, grise l’âme
d’un simple charme
étourdit la douleur

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MERLIN SALERNO

Langue brûlée
le goût de la lumière
des promesses du vin
en suspens


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Dans ma gorge
avenante
vins les plus éloquents
se taisent
n’abreuvant plus
la rivière de l’esprit

Le spectre et la peur
de louper le romanesque
me payent
une dernière tournée

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JESÚS CÁRDENAS

BRINDIS DE AGRADECIMIENTO


Gracias,
por obsequiarnos un corazón sano,
un mundo limpio y sin defectos.

Celebremos
la embriaguez de tantos atardeceres
y el sumiso relevo de la luna.

Dispongamos las sillas
para los que nos insuflan su aliento,
los amigos reencontrados
y quienes hoy no estén presentes.

Que no anule nuestra sed
antes de haber colmado el corazón
con la concordia.

Alcemos nuestras copas.
Que el vino sea el trasluz de la noche
y en cada sorbo
compartamos este recuerdo.



TOAST DE REMERCIEMENT

Merci
de nous avoir offert un cœur sain,
un monde limpide et sans défauts.

Célébrons
l’ivresse de tant de soirées
et la relève soumise de la lune.

Disposons les chaises
pour ceux qui nous apportent leur souffle,
les amis retrouvés
et ceux qui manquent aujourd’hui.

Que notre soif ne s’éteigne pas
avant d’avoir comblé le cœur
par la concorde.

Levons nos verres.
Que le vin soit la transparence de la nuit
et que dans chaque gorgée
nous partageons ce souvenir.


Traduction: Miguel Ángel Real


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