Les muses inquiétantes
Trois femmes étranges hantent mes nuits. Leur corps de pierre pèse sur mes rêves. Elles prennent la pose comme des Vénus antiques, mais elles n’ont pas de visage. Elles dodelinent de la tête chaque nuit au-dessus de mon lit. Celle du milieu, assise, a posé la sienne à ses pieds : son ventre, bouche béante, hurle en silence. Celle de gauche qui me tourne le dos me nargue avec son punching-ball. Quant à la dernière, lointaine, dans l’ombre, elle reste insaisissable. La Folie, la Défiance et la Solitude.
D’après le tableau de Giorgio De Chirico
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La vitrine
La pluie tombe violemment. Muriel s’est réfugiée sous les arcanes des traverses marchandes de la Place Ducale. Elle regarde la vitrine : quelques brimborions tape-à-l’œil, savonnettes multicolores, boîtes ovales. Soudain, un visage se superpose aux objets. Un reflet dans la vitrine. Muriel frissonne. Ce visage est si beau ! Son cœur s’emballe. Que la pluie éclate de plus belle et ne s’arrête jamais ! La jeune femme voudrait garder ce reflet près du sien pour toujours. Mais, comment retenir le fantôme du jeune poète à jamais disparu ?
Une autre amoureuse d’Arthur Rimbaud
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Le Poète
Tout est prêt. L’estrade avec le micro et le pupitre. La table du libraire avec ses livres pour sa séance de dédicaces. Le public est déjà installé : certains discutent, d’autres préparent leur appareil photo.
Le Poète arrive. Foulard bleu autour du cou, chapeau de feutre noir, veste en velours kaki. Il a plutôt fière allure. Le public se tait. Le Poète monte sur l’estrade, sourit à l’assemblée, s’approche du micro, ouvre la bouche. Aucun son. Aucun mot. Son cri reste muet. Un ciel immense s’ouvre devant lui.
« Patti et Arthur » par LaOdina