CÉLINE WALTER – Duende – Editions Tarmac, Nancy, Francia, 2023
(Extrait Chapitre I)
boire de l’eau
boire de l’eau et t’appeler comme ça
comme jamais
j’essaye de regarder dans le vide et tu es toujours là
boire de l’eau parce qu’il le faut bien
ici
te remplacer par autre chose qui coule
pour que tout continue à couler autour de moi
quand tu essayes de garder ma place
quelque part
tu réussis toujours
tu gagnes du terrain
même sur le mal à venir qui pourrait s’accrocher et
[m’éjecter du monde
ce mal – ces courants d’air d’hommes
chacun dans leur couloir
dans la poussière d’un jour nouveau
ces hommes
***
(Extrait chapitre III)
je suis partie écrire
on a réussi notre coup
m’en suis allée t’aimer – voir si j’y étais
ailleurs
quelque part en toi et en allant
quelque part en nous
ça sert à ça de s’éloigner
d’aller écrire nous
au deuxième jour
j’ai déjà pleuré un livre
pleuré sur chaque petite robe noire impeccable
[que je passais
avec tes yeux dessus
je vais aller revoir les chevaux blancs
Mêler mon ombre à leur crin
Me laisser fondre au noir
sans leur apporter de pain ni de carotte
[ça risquerait la couleur
je vais descendre et aller jouer aux échecs avec eux
comme un diable à succès une fois mort
ces chevaux-là ne savent pas que je suis hors jeu
je ne suis ni pion ni reine
ici
***
(Extrait chapitre X)
sous le couvert de l’heure bleue — à l’autre bout de ce livre
nos ombres se sont couchées
elles dansent se chevauchent
tracent d’autres corps à corps entendus
ces lettres qu’elles renversent et roulent
[comme mes hanches
sur des pages et des pages innocentes
jusqu’à soulever l’introuvable — faire connaissance
renverser l’échiquier avec
j’écris — mais je ne le sais pas
je m’assoie entre tes mains jamais tranquilles
tu es le fer rouge je suis la bête — le trou dans le papier
tu libères et offres mes mamelles aux sourds
je suis la pluie — je ne pèse plus rien
j’invente
et sur toi je tombe comme tête morte
j’étanche toutes les soifs
Boire de l’eau
Boire de l’eau
rejeter la tête en arrière
et te laisser remettre de l’ordre en moi
*******
Céline Walter est née en 1972 à Château-Thierry. Enfant unique et solitaire, elle grandit à la campagne, joue dehors, construit des cabanes, lit sans cesse, souvent à voix haute. Très tôt, elle entretient un dialogue étroit et permanent avec le vivant, le sacré, le mystère, l’invisible. Elle interroge les confins d’ici et d’ailleurs, bois, collines, rivière et souvent revient au cimetière comme dans des bras amis. A 16 ans, elle quitte le lycée où elle ne trouve pas sa place. Elle travaille aussitôt, expérimente et enchaîne mille et un petits boulots parfois improbables. Des rencontres déterminantes confirment son regard sensible et l’encouragent à se former aux métiers de l’information et de la communication. Ce qu’elle fait uniquement par goût de l’écriture. Elle occupe des postes d’animatrice et reporter dans une radio libre, journaliste pour la PQR, rédactrice d’un magazine territorial. Mais elle se cherche encore, ne se reconnaît que dans la solitude et le sauvage. Elle démissionne de la fonction publique, poursuit un temps quelques piges notamment pour la rubrique Portrait de Libération. En 2014, elle entre définitivement en écriture, en poésie, encouragée par les poètes Bernard Noël et Christian Bobin. Céline Walter est l’auteure de plusieurs recueils et récits poétiques pour adultes et enfants. Ses poèmes sont également publiés dans des livres d’art et catalogues d’exposition dans le milieu de la photographie. D’autres textes vont à la sculpture, à la musique classique contemporaine, la chanson française et d’autres créations sonores fidèles témoins de l’étrangeté de l’auteure. Céline Walter vit et travaille dans un hameau isolé du côté des Sources de la Seine en Bourgogne.
Bibliographie
Petite, c’est la fête tu voudrais mourir, préface de Bernard Noël, éd. Tituli, 2014. Poésie L’Inconnue de la Seine, préface d’Eric de Laclos, éd. Tituli, 2016. Poésie Si, éd. Tarmac, fév. 2018. Récits. Réminiscences (26), éd. AEncrage&co, mars 2018. Livre d’artiste (avec Yves-Jacques Bouin, Christine Delbecq et Philippe Agostini). La lenteur, éditions DiChroma (Madrid), 2018, poème pour le catalogue de l’exposition du photographe Paul Alexandre. Un arbol tan blanco como la nieve, éd. DiChroma, sept. 2019. Conte pour enfant (non traduit).
Dans la peau de l’homme, éd. martinsfontes (São Paulo), 2020. Poème pour le catalogue de la rétrospective du photographe Carlos Moreira.
Le noir, c’est l’autre, éd. DiChroma, fév. 2021. Poème pour le catalogue de l’exposition de la photographe Margaret Watkins. Peau de lait, éditions du Cygne, mai 2021. Récit. Avec eux, je marche, éd. RMN octobre 2021. Neuf textes pour le catalogue de l’exposition Vivian Maier au Musée du Luxembourg. Une en présence multiple, poème, publié dans l’Anthologie de la poésie française de Philippe Torreton, éd. Calmann-Lévy, novembre 2022. Duende, éd Tarmac, mars 2023. Préface de Serge Pey, postface de Ramuntcho Matta.