Gérard Camoin – Trois poèmes

La sente

(Seconde version)

Ils s’en venaient au bal de la foire aux mulets

Admirer cette fille et n’osaient lui parler

Ils restaient sur leur faim de ses jupons bouffants

Ils mariaient la voisine et la semaient d’enfants

Mesuraient les arpents de leurs socs bien réglés

Et guidaient aux sillons leurs bêtes d’un pas lent

Sans regret sans remords taiseux comme étranglés

Et leur vie était là qui pesait au palan

Puis ils ont pris la sente aux terres avalées

Par des torrents furieux hérissés de rocs blancs

Tout au bout du vieillu portés par tous les clans

Ils sont à la fraîcheur des tombes de galets

Gérard Camoin – in « Les Sentes bleues » (à paraître)

Odilon

Odilon

Compte les moutons

De ses yeux qui pétillent

Il compte les brebis

Et sourit

Odilon

Dans sa maison de retraite

Au pentu d’un plateau

Où butent les Alpilles

Qu’il veille ou qu’il roupille

Cloué sur une baroulette1

Dans sa chambre de défaite

Odilon

À roulettes

Compte les moutons

Un cochon dans les rastoubles2

Un chien dans les lavandes

Une mouche au plafond

Et Odilon voit un mouton

Les yeux au bleu que rien ne trouble

Dans le bruissement des oliviers

Dans le vent des amandes

Dans le chant des rives des adrets

Odilon

Guette un troupeau

Derrière ses carreaux

Odilon

Attend les moutons

Espère les brebis

Dans son bercaù3 de bastidon

Odilon

N’a pas eu de besson

Pas de frème4 au ventre rond

Ni de bergère alanguie

Dans son lit de Verdon

Les bergers sont les novi5 de leur Étoile

Comme les moines le sont de Marie

La Sainte-Mère des brebis

Qui du bleu du ciel s’est fait un voile

Odilon

Compte les moutons

Et sourit à la vie

Il compte les brebis

Et la mort en vieille amie

Compte avec lui

Gérard Camoin – in «  Les Sentes bleues » (à paraître)

1 Une brouette. Par dérivé : une chaise roulante.  2 Champs de blé coupé.  3 Berceau, bercail, domicile. 4 Femme, épouse 5 Nouveau marié

 

Chat aromatique

Le chat aromatique a fleuri cette nuit

Sur le muret pierreux où coule la glycine

Ses yeux sont tranchelards sous la lune qui luit

Dans le jardin secret quand vient l’heure assassine

Je sais un chat pirate un chat qui s’est enfui

Un félin coquillard qui hante la cuisine

Quand les cuistots fourbus désertent leur usine

Il joue les monte-en-l’air solitaire sans bruit

Il préfère voler qu’attendre la gamelle

Il se bat sous la nue il chasse il est rebelle

Il n’accepte pour lui que rapine qu’il prend

Aux hommes et aux chiens Il lèche sa blessure

Croque sous un rosier quelque bout de fressure

Et rêve de l’Égypte où tous les chats sont grands

Gérard Camoin – in « Le Mouton mécanique » à paraître