Poèmes extraits de La vocación suspendida, Ed. Difácil 2022
Traduction par Miguel Ángel Real
Bogotá, después de una visita a Helena Iriarte
No hay relación entre las cosas
y aquello que las encarna.
La realidad acaso es un vacío
y su copia en el espejo
la evidencia de su precariedad.
Los nombres van por el mundo
retratando la angustia de no ser lo que nombran.
La gente corre afanada
hacia el vagón del metro o el autobús
porque la vida depende de un concepto.
Tampoco la puntualidad corresponde a su palabra,
pues no se puede llegar con retraso al destino.
¿Es posible que convivan alma y cuerpo?
¿No serán un binomio inseparable,
una sola cosa que no sabemos nombrar aún?
En estos temas, como en tantos otros,
me atropella la retórica,
y vuelvo a preguntarme si será posible
nada más vivir.
Bogotá, après une visite à Helena Iriarte
Il n’y a pas de relation entre les choses
et ce qui les incarne.
La réalité est peut-être un vide
et sa copie dans le miroir
l’évidence de sa précarité.
Les noms traversent le monde
en dépeignant l’angoisse de ne pas être ce qu’ils nomment.
Les gens courent à toute allure
vers le wagon du métro ou le bus
parce que la vie dépend d’un concept.
La ponctualité ne correspond pas non plus à leur parole,
car on ne peut pas être en retard à son destin.
Le corps et l’âme peuvent-ils coexister ?
Ne sont-ils pas un binôme indissociable ,
une seule et même chose que nous ne savons pas encore nommer ?
Sur ces questions, comme sur tant d’autres,
je suis submergée par la rhétorique,
et je me demande à nouveau s’il sera possible
de vivre, tout simplement.
***
La torre de marfil
El mundo es una torre de marfil, en vano
busco una puerta en sus paredes curvas.
Soy como una actriz representando a un borracho,
camino tratando de hacer una línea recta,
nunca eses. No soy una profesional
de la actuación, ni siquiera lo parezco,
pero caminaré tratando de hacer una línea recta.
A veces me siento frente al ordenador y busco
toda clase de cosas, desde zapatos hasta amor.
Y sí, todo lo encuentro allí, porque el mundo es una torre
y estoy atrapada con todo lo demás, es inevitable.
Cuando me miro al espejo me sorprende lo común
que parece mi rostro, y me digo:
es bueno ser tan común, no te asustes.
Vuelvo a sentarme frente al ordenador y encuentro
las mismas cosas, todo, todo, hasta el amor.
Y allí mismo, tecleando,
trato de comprender
por qué me siento libre en la jaula del pájaro.
La tour d’ivoire
Le monde est une tour d’ivoire, en vain
je cherche une porte dans ses murs courbes.
Je suis comme une actrice jouant un ivrogne,
je marche en essayant de tracer une ligne droite,
jamais de zigzag. Je ne suis pas une professionnelle
de la comédie, je n’en ai même pas l’air,
mais je marcherai en essayant de tracer une ligne droite.
Parfois, je m’assois devant l’ordinateur et je cherche
toutes sortes de choses, des chaussures à l’amour.
Et oui, j’y trouve tout, parce que le monde est une tour
et que j’y suis coincée avec tout le reste, c’est inévitable.
Quand je me regarde dans le miroir, je suis surprise par l’aspect ordinaire
de mon visage, et je me dis:
c’est bien d’être si quelconque, n’aie pas peur.
Je retourne m’asseoir devant l’ordinateur et j’y retrouve
les mêmes choses, tout, tout, même l’amour.
Et là, en tapant sur le clavier,
j’essaie de comprendre
pourquoi je me sens libre dans la cage de l’oiseau.
***
La vocación perfecta
Qué rápido llega el abandono.
Vivir es errar en lo que aprueba el destino.
La realidad nos pide apresurarnos,
cumplir horarios y llegar a la cita
con aquello que no puede estar más solo:
lo humano.
En un mundo asaltado por el tiempo
el olvido es la vocación perfecta.
La vocation parfaite
Le renoncement est si vite arrivé.
Vivre, c’est se tromper dans ce que le destin approuve.
La réalité nous demande de nous dépêcher,
de respecter les horaires et d’arriver au rendez-vous
avec ce qui ne peut plus être seul :
l’humain.
Dans un monde assailli par le temps
l’oubli est la vocation parfaite.
***
Lauren Mendinueta, Barranquilla, Colombie (1977). Elle est considérée comme l’une des poètes les plus importantes de sa génération en Amérique latine. Sa poésie aborde les thèmes de la mort, de l’amour, de la solitude et du temps avec une rigueur expressive et une profondeur conceptuelle. Elle est l’auteure de douze recueils de poésie. Ses livres ont été publiés dans plusieurs pays d’Amérique latine et d’Europe. En Colombie, elle a remporté trois prix nationaux de poésie, le Prix du festival de poésie de Medellín et le Prix national de l’essai et de la critique d’art du ministère de la culture. En Espagne, elle a également remporté le prix international Martín García Ramos pour La vocación suspendida, un livre qui a connu cinq éditions, et le prix César Simón pour Del tiempo, un paso.
Elle vit actuellement à Lisbonne, où, parallèlement à son activité d’écrivaine, elle traduit de la poésie et mène un intense travail de diffusion de la poésie hispano-américaine au Portugal et de la poésie portugaise en Amérique latine et en Espagne.