Le portulan des îles damnées
Le portulan des îles damnées
requiert une sagacité féroce
à qui veut les rejoindre
sans transiger avec de petites compromissions
C’est à la proue de l’embarcation
que le reflet de l’eau
déchire la toile lisse du visage
et laisse glisser la vérité
des cauchemars cachés
L’insouciance dont on se targue
se fragmente dans la découpe de la nef
qui aiguillonne les lignes inégales
des paravents de la cervelle
Apparaissent enfin
dans une nuit de rides aquatiques
les démoniaques pensées
depuis si longtemps tues et secrètes
Quand bien même
le regard s’en détournerait
rien n’hameçonnerait davantage l’esprit
que l’envie tapie par-devers soi
de nier l’insondable qui nous constitue
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Dans les murs de la chambre
La chambre où l’on dort
recèle davantage de secrets
que le plus sombre Décaméron médiéval
Chaque nuit l’esprit s’y libère
fulgurante attaque chimérique
se départissant de l’intégrité physique
Le plomb du corps
se fond dans d’insoupçonnés sortilèges
dont nos réveils abolissent les perspectives
au nombre d’or semblables
La moindre parcelle de rêve
est une vie qui divague
et cette vague d’existences
démolit les murs d’une pièce
dans laquelle
tout être sensé refuserait
de sombrer chaque soir
Croyant cependant en un sommeil réparateur
l’ignare se couche avec béatitude
pauvre victime des contraintes événementielles
Chaque matin
incorrigible attitude de l’indolent
il accepte sans comprendre
la moindre sensation de fatigue
proportionnelle aux courses effrénées
de phrases en langues inconnues
de souvenirs perdus qui ne sont pas à soi
incantations inaudibles chuchotées dans la pénombre
entre sommier et plafond
pour une existence passée
à retrouver en étincelles de la première pensée
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Ne pas chercher la compréhension
Marcher à tâtons dans le noir
forêt inhumaine
accueillante
Lave des mots
qui coule
brûle
calcine la peau de l’âme
rôtie à la ficelle
Froideur de marques impératives
avilissantes
contre lesquelles on se débat
et qui souvent décolle des lambeaux
au point de rejoindre la lave des précédents
Vomir toute perspective de devoir quelque chose
préférer se fondre dans un silence
à l’apparence hautaine
seul rempart à la fontaine soufrée
de l’engloutissement
Se prémunir de la noirceur hystérique
prête à s’amonceler
par un départ hâtif
loin du hangar des jours écroulés
aphasie salvatrice inexpliquée
Acceptation des injustices
et mettre son mouchoir par-dessus
ou bien
taureau brave
décider dans l’arène ensanglantée
de beugler sa colère
à la face des capes virevoltantes
jusqu’à l’embrasement du soleil dans l’horizon
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Les éditions du Passavant ont publié en 2022 le premier recueil de poésie de Jean-Michel Bollinger intitulé Pénombres, lampes & lumières . Quelques textes de ce recueil ont été publiés dans le n°65 de la revue Voix d’encre en septembre 2021. Plusieurs de ses poèmes ont été proposés depuis plusieurs années par différentes revues, notamment Traversées, dirigée par Patrice Breno.