
Photographie: Miguel Ángel Real
Ils exposaient des reproductions sur les murs du couloir qui était si étroit que l’on devait frôler les épidermes, caresser de l’épaule des pariades monstrueuses, ramper sur des vernis graveleux.
Quelques photos de famille, gloussa notre hôte. Je n’expose que des chefs-d’œuvre de chair.
Nous traversâmes les cabinets où festoyaient leurs aînés et sortîmes son épouse d’une bouteille millésimée. Elle était corpulente en bouche, fruitée, avec des pointes de châtaigne et d’escarpin sous sa robe.
Nous la recrachâmes dans les radiateurs qui répandirent toute la soirée une musique humide de jazz bands cajuns.
Nous découpâmes le jambon entre les draps en épluchant des dossiers. Mon économe étant plus efficace, je finis le premier et me délassai en voletant au-dessus des ondes hertziennes.
En mal de couvade, mon hôte partit bouquiner dans la bibliothèque en compagnie de missionnaires.
La lune s’éclipsa par la chatière avec toute sa portée de noires et de croches.
***
Les morts brisaient leurs chaînes, rongeant les pierres tombales, griffant le marbre, désorientés dans les chapelles hérissées de crucifix.
Ils entrèrent dans les villes les yeux remplis de terre
Les édiles rompirent les noces d’humus et lâchèrent leurs chiens de pierre, basiliques, églises, cryptes aux appétits d’orchidées, répandant dans les rues des remugles d’éternité.
A la lisière du béton les serres municipales dressaient des barricades de fleurs. Un maire lombric fut acclamé à Bagatelle. Les jardins ouvriers greffaient la révolution dans les beaux quartiers.
Les cours jetaient leurs pavés.
Des statues furent érigées à la mémoire des grands arbres et des monuments aux vivants virent le jour dans les squares.
C’était avant que déferlent les monstres, comme une dernière saison des hommes avant le grand chambard.
****
Stéphane Amiot est né à Toulouse en juin 1968, mais il a passé son enfance en Charente, à Angoulême. Après des études de Lettres à Bordeaux, il est parti comme volontaire pour le Service National à Djibouti, découvrant la Corne de l’Afrique, la Tanzanie, Zanzibar, l’Éthiopie, le Kenya. Puis il a enseigné en Gironde, en Seine-et-Marne, dans le Loiret, à la Réunion.
Actuellement il est professeur de français dans la région toulousaine.
Stéphane Amiot est poète, romancier et auteur jeunesse.
Dernières parutions :
–Saisons de lagunage, éditions unicité, préface Marie Reynaud-Vermunt, 2022
–Farfulaisons Conjugaisons poétiques et farfelues, éditions unicité, préface Rose-Andrée de Laburthe, 2023 (illustrations Jorgelina Prado)