
Illustration : Jacques Cauda
Peindre la nature
Peindre le vent ? La question posée par Vinci a trouvé sa réponse dans Cézanne.
Peindre. Dessiner. Je suis assis à ma table. L’atelier est plongé dans le calme. Aucun bruit. Des enfants parfois. J’écris.
Faire courir la main sur le papier les yeux clos. Rêver la ligne. Mon trait rompt le silence du blanc. Une trace immobile à grands pas, pour reprendre une formule célébrée.
Les feuilles étaient encore toutes petites. L’image qui me vient tout de suite en regard de cette phrase de Willy Ronis, c’est celle d’une petite feuille ballottée par le vent. C’est le dessin.
Telle la prairie pour l’ardeur.
Sensation douceur impression trouble vacillement murmure caché dans l’herbe savoir & entrelacs… Je me dois à mon tenace démon.
La peinture n’est jamais une maison mais un chantier. Bataille disait la même chose de la philosophie. Il ajoutait : La philosophie entraîne l’extrême mobilité de la pensée ouverte à tous mouvements antérieurs ou ultérieurs. La peinture aussi.
Partis de la négation de la figure humaine pour peindre la nature (autrement dit de Lascaux où l’homme est un graffiti alors que l’animal a une figure), il nous a fallu envisager l’humain comme une proie offerte à la transcendance par le biais d’un sacrifice pour le présenter et le représenter au monde comme à nous-mêmes. Négation de la négation.
Je parle à la nature que j’ai esquissée, je lui dis la formule magique qui enchantait les Égyptiens : Descends, placenta, descends, placenta, descends ! Je suis Horus qui fait de la magie pour que celle qui donne la vie se sente mieux…
Murmures : vêtements en peau, je me glisse jusqu’à moi par l’oreille. Où j’entends une voix me dire tout doucement : Et c’est ainsi que l’on voudrait que restât l’étrange objet, trace tragique et méticuleuse, que laisserait de son passage la nature projetée par la fenêtre.
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En Asie, le li contrairement au mètre se dilate ou se contracte en fonction de la nature du relief ; autrement dit le corps qui parcourt une distance plus ou moins vallonnée, ou plus ou moins plane, en modifie la mesure. Pareillement, dans la peinture chinoise, le rouleau se déplie ou se replie afin que le spectateur y fasse son chemin propre, s’y promène. Le regard passé à l’intérieur de la surface en module aussi bien le sens que les sens. C’est ce à quoi je tends avec la nature. Faire que celui qui la regarde l’appréhende selon la montée ou la descente de son désir. Qu’il regarde avec le ventre plus gros que les yeux. Ineffable jubilation !
Je montre à une amie les premiers dessins au fusain sur papier. Certains rehaussés d’aquarelle. Je la lui joue Rodin. Je la regarde les yeux brillants sous mes paupières abaissées tandis que s’échappe de moi un souffle brûlant.
L’art, s’il ne nous convie pas à mourir dans le ravissement, du moins a-t-il la vertu de vouer un moment de notre bonheur à l’égalité avec la mort. Bataille.
Moteur. La feuille se tient entre la déjeture de mon bras et la rondeur de son vert qu’il me faut ouvrir pour rendre le vent doué d’existence montée en joie comme en forme qui fait vaguer la vue oui la toile devient semblable à un rien qui cesse et qui ne cesse pas ô la vie tambourine le ventre de la nature ouvert demeure tel un don offert aux vivants et aux morts autrement dit un présent.
C’est fait. Je suis nulle part. Trou. Vide entre les lignes. Vent.
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Écrivain, Cauda écrit le corps comme le cyclostome élégant écrirait s’il écrivait. Peintre, photographe et réalisateur de films documentaires, sa pratique de l’image doit beaucoup à l’écriture. Il a reçu le prix spécial Joseph Delteil pour Ici le temps va à pied (poésie). Il a écrit une cinquantaine de livres : poésies, romans, polars, essais, manifestes, correspondances, livres d’artiste… Et il en a illustré davantage.
Il dirige la collection La Bleu Turquin chez Douro éditions.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Cauda
http://jacquescauda.canalblog.com
https://www.editionsdouro.fr/bleu-turquin
Derniers ouvrages parus :
–Pronostic vital engagé, roman, éditions Sans Crispation, 2024
–À sauts et à gambades, avec Philippe Pichon, essai, éditions Ardavena, 2024
–L’Invisible ou agrandir le trou pour ne pas en sortir, essai , Résonances/Douro , 2024