1
Amas globulaire de fourrures gazeuses dérivant vers l’œil rouge du centre de la galaxie. La queue de la comète se love en spirale sifflante autour du visage d’un être mimétique. Cercle en apesanteur pour illustrer la perfection du songe. Brouillard dense de cendres vivantes. Et ces chapelets de graines cosmiques qui ne cessent de tournoyer sur elles-mêmes pour échapper à l’étoile naine. Le regard se perd dans la chevelure de la comète invisible. Sensation d’un flottement extatique à la frontière du tangible. Bercement par l’encre qui s’évapore au rythme de la pulsation des astres. Joie de naviguer à l’estime sur l’océan brumeux entre ses îles qui dérivent plus loin dans l’océan du songe.
2
Dans les nuées fuligineuses qui tournoient en une spirale autour du pôle de la planète blanche, les grands oiseaux dorés dessinent des arabesques en vol. Ils vont par-delà les montagnes glacées vers les grands lacs. Leurs flots verts sont noyés dans les brumes que rosit la lumière diaphane de la seconde étoile. Ils vont boire l’eau nourricière des profondeurs. L’air est léger, le silence profond. Dans les forêts d’arbres géants, on entend parfois le cri généreux des bêtes de la terre qui cherchent, sous la poudreuse, les herbes grasses et les fougères rampantes. Le globe rouge détaché du vaisseau en perdition descend lentement à travers l’espace de plus en plus épais. Les créatures ne voient que la longue traînée de vapeur grise qu’il laisse derrière lui dans le ciel argenté. Les passagers oublient leur peur en voyant par les larges hublots l’ineffable beauté de ce monde hiémal où ils vont se poser : les forêts titanesques, les cristaux suspendus, les montagnes transparentes, les animaux enracinés, les arbres qui marchent et cette présence vaporeuse et miroitante qui virevolte à la surface des plaines immaculées et soulève ces volutes et ces falbalas de flocons étincelants. Et quand ils sortent des nuages de gaz iridescent, l’émerveillement les prend dans la musique des vents multicolores qui semblent souffler de la plus grande étoile, œil unique à l’horizon qui pose son regard de feu sur les immensités enneigées.
3
Graines de feu intérieur et de lumière sidérale charriées par les souffles cosmiques. Le carré primordial est le champ d’une métamorphose quand son angle vivant pénètre dans le ventre du cercle tout enrubanné de nuées. Sphère couverte de lacs gelés où les sables sont de pollen, de duvet et de poudre fertile. Du point Aleph sourd un courant de rayons courbes qui devient peu à peu le fleuve de la vie. Et la manne de ces amours géométriques retombe sur les pentes du grand volcan noir où les naufragés du cosmos ont échoué. Les premières lueurs de l’astre liquéfient les figements et un brouillard d’or inonde les collines. La déesse de l’aurore peut alors déployer son infinie chevelure et de son œil de braise enchanter tous les êtres.
4
Dans le chaos tournoyant d’ombre et de néant naissent les étoiles noires du futur incertain. Langue de violence qui vient lécher la peau du monde orangé et bouleverse l’ordre immémorial de ses astéroïdes et de ses satellites bleus. Et pourtant, l’univers garde l’œil ouvert et, du fond de l’espace, qui est partout et ne se voit nulle part, le regard implacable fixe l’infini…
5
Dans les eaux évanescentes du lac, le feu du magma couvé par le dragon est source d’une alchimie barbare. Sur un lit d’argile pâle, le noyau brûlant exsude sa lymphe ambrée. En caressant les spores obscures d’une forêt primale, elle engendre la belle invisible aux longs cheveux rouges, la nymphe qui ondule dans les eaux translucides, qui veut épouser les roches courbes et veut féconder les arbres engloutis. Alors, vient le poisson du ciel. Dès qu’il la voit, il la possède et par un brusque éclair d’ardeur écarlate, répand autour d’elle sa semence lactescente. C’est l’instant suprême où quelque chose prend corps et monte vers la lumière.
Dessins : Denisanne Morvan
Textes : Jean-Jacques Brouard