Béatrice Vergnaud – Perds pas ton temps (récit)

Il n’y a pas si longtemps, existait un commerce florissant : le magasin du temps. William, désireux de connaître ce type de lieu ou, du moins, ce qu’il en restait, suivit le panneau indiquant : Vente de temps. Il en avait entendu parler lors d’une émission intitulée : Les métiers de jadis. Il s’agissait d’un groupement de personnes ayant du temps à revendre et qui se relayaient pour recevoir les clients. Le journaliste demanda à madame Printemps, la responsable de la boutique, pourquoi ces personnes vendaient du temps, en quelle quantité, comment ils procédaient, et qui se portait acquéreur. Elle avait répondu que c’était variable, que les revendeurs se relayaient en fonction du temps dont ils disposaient et avait expliqué qu’ils pouvaient vendre une ou plusieurs heures, une journée ou plusieurs, régulièrement ou ponctuellement. Il y avait même un système d’abonnement, des prix de gros pour les nécessiteux, qui pouvaient être des hommes d’affaires, des pères ou des mères de famille nombreuse et toute personne manquant de temps, répétant sans cesse sans même réfléchir : « Désolé, je n’ai pas eu le temps… Si je trouve le temps… Quand j’aurai le temps… Même en cent ans, je n’aurai pas le temps… Le temps, le temps, le temps et rien d’autre… » Mais aussi des personnes à qui on a répété depuis l’enfance : « Perds pas ton temps ! ». Toutes ces personnes vivaient dans la hantise de perdre leur temps et de ne pas le retrouver ; alors, ils prenaient une heure de leur temps pour aller acquérir du temps supplémentaire, parce que le temps, c’est de l’argent. Il y avait même des enfants qui demandaient combien ils pouvaient avoir de temps de récré pour quelques euros. Les ados étaient plutôt vendeurs qu’acquéreurs. Madame Printemps m’assura que ce business était légal puisque tout ce qui n’est pas interdit est légal.
Un passage à la boutique Printemps était un bon investissement, une façon de mettre le temps à profit. Certains achetaient au détail, d’autres en vrac, d’autres par lots quand il y avait une promo. Du temps, ajouta la marchande, certains n’en n’avaient jamais assez alors des vendeurs étaient présents chaque jour comme les bouquinistes ou la vendeuse de fleurs devant le cimetière. Plus les revendeurs avaient de temps à revendre et plus ils s’enrichissaient : autant que les hommes d’affaires. Cependant, il y avait des périodes creuses où il y avait un peu moins de temps disponible alors les prix montaient et les revendeurs s’enrichissaient encore plus. Qui étaient-ils ? Des retraités, des malades alités, des personnes sans domicile qui trouvaient le temps long, des enfants qui s’ennuyaient, plus rarement, quelques poètes du dimanche qui n’avaient rien à faire les six autres jours, des procrastinateurs, des intermittents du spectacle, des sprinteurs… Alors, dans les maisons, on entendait parfois : « Chéri, tu penses à prendre le pain au retour et quatre heures de temps : il est en solde, en ce moment. » Tout cela se passait bien, dans la joie et la bonne humeur, jusqu’au jour où des ingénus, pour ne pas dire de jeunes couillons, ne trouvèrent pas mieux que de donner de leur temps libre.

Béatrice Vergnaud réside en Nouvelle-Aquitaine où elle a concilié sa vie professionnelle dans la formation pour adultes, avec ses études en Sciences Humaines. Elle écrit de la poésie contemporaine et de courtes nouvelles dans un style assez éclectique. Nombre de publications dans des revues littéraires et des recueils collectifs en France, en Suisse, au Québec, au Cameroun et en Louisiane.

 

 

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