
Photographie : A. Rivière Kéraval
La jarre
Il fallut que le cours s’anime pour que la jarre
vrille et vacille. Un charbon ardent, à l’intérieur,
se consume dans la partie sèche et chuinte lorsque
le ventre éponge. La jarre bondit, tourne sur elle-
même, sauvée de la noyade par celui qui l’aperçoit
depuis l’autre rive. Elle porte naissance dans sa folle
course, la main l’a façonnée pour qu’elle donne vie,
les saumons sautent à contre-courant, contre leur gré.
***
Amer
Sur le mur d’enceinte, tout en haut de l’île, perçaient
quelques oranges à l’insu des grands oiseaux. Le bleu
autour découpait la toiture invisible de l’hôpital en ruine,
des bouches noires sans fenêtres aspiraient l’air brûlant.
Les marches, jusqu’au parvis, se perdaient dans l’herbe
jaune, le souhait de cueillir les fruits semblait aussi
aisé que de lever le regard, à l’occasion d’une ascension
en cet endroit sans nom, aux allures pourtant familières.
***
Lecture
La tache de café, dans le cahier, date de l’année où tu
vins t’installer dans cette vaste maison cueillie par le
verger de l’Ardèche. Les pêches mûres au bout des branches
arquées n’étaient pas cueillies – Ton arrivée signait le départ.
Je lisais entre les lignes de chaque page ton avenir plein
d’errances, jusqu’à ce que je boive cette eau noire dont l’œil
maintenait deux solitudes : la mienne me rendit gauche et je
renversai ma tasse, tu vins chercher un poème de secours.
***
Clairière
Tu respirais fort au milieu de la clairière et toute
la forêt tenait dans le creux de ton ventre où mes yeux
jouaient à saisir le vert passager mêlé aux morceaux
de soleil. Ton souffle poussait les nuages touffus,
agglomérés au faîte des arbres. On nommait
cette vision, timidité. Dans cet univers au-dessus
de nos têtes minuscules circulait le bleu du regard, celui
de l’au-delà et le tien, implacable mais bon.
***
Marin
La barque n’est pas prête, on pêche encore au feu,
on se détache des lueurs sans porter de corps franc,
on s’affaire contre mer catastrophe, au premier sac
nouveau don et au ressac suivant revient le chant
d’une sirène, les bras chargés d’écume. On est marin
quand on fredonne le prénom de Véronique et que
le coton d’un nuage emporte la voix. On naît marin
à la première alerte lancée contre l’assaut.
***
De ce côté
De la chambre on voyait la face cachée des larges
feuilles et le soleil intermittent éclairait les nervures,
le suc circulait, les yeux suivaient son parcours
à peine visible ; aimer roulait dans les veines.
J’avais une chanson verte, impromptue sur les lèvres,
je la murmurais pour ne pas éveiller la dynamique
des choses qui, surprise par ma voix de tête,
aurait cessé, réduisant l’amant vain à ce vague inutile.
Fabrice Farre a publié son vingtième recueil DES EQUILIBRES en 2022, chez Bruno Guattari, avec les photos de Philippe Agostini. Son blog : Poésie contemporaine…peut-être