Fabrice Farre – Contre nature

Photographie : A. Rivière Kéraval

La jarre

 

Il fallut que le cours s’anime pour que la jarre

vrille et vacille. Un charbon ardent, à l’intérieur,

se consume dans la partie sèche et chuinte lorsque

le ventre éponge. La jarre bondit, tourne sur elle-

même, sauvée de la noyade par celui qui l’aperçoit

depuis l’autre rive. Elle porte naissance dans sa folle

course, la main l’a façonnée pour qu’elle donne vie,

les saumons sautent à contre-courant, contre leur gré.

***

Amer

 

Sur le mur d’enceinte, tout en haut de l’île, perçaient

quelques oranges à l’insu des grands oiseaux. Le bleu

autour découpait la toiture invisible de l’hôpital en ruine,

des bouches noires sans fenêtres aspiraient l’air brûlant.

Les marches, jusqu’au parvis, se perdaient dans l’herbe

jaune, le souhait de cueillir les fruits semblait aussi

aisé que de lever le regard, à l’occasion d’une ascension

en cet endroit sans nom, aux allures pourtant familières.

***

Lecture

 

La tache de café, dans le cahier, date de l’année où tu

vins t’installer dans cette vaste maison cueillie par le

verger de l’Ardèche. Les pêches mûres au bout des branches

arquées n’étaient pas cueillies – Ton arrivée signait le départ.

Je lisais entre les lignes de chaque page ton avenir plein

d’errances, jusqu’à ce que je boive cette eau noire dont l’œil

maintenait deux solitudes : la mienne me rendit gauche et je

renversai ma tasse, tu vins chercher un poème de secours.

***

Clairière

 

Tu respirais fort au milieu de la clairière et toute

la forêt tenait dans le creux de ton ventre où mes yeux

jouaient à saisir le vert passager mêlé aux morceaux

de soleil. Ton souffle poussait les nuages touffus,

agglomérés au faîte des arbres. On nommait

cette vision, timidité. Dans cet univers au-dessus

de nos têtes minuscules circulait le bleu du regard, celui

de l’au-delà et le tien, implacable mais bon.

***

Marin

 

La barque n’est pas prête, on pêche encore au feu,

on se détache des lueurs sans porter de corps franc,

on s’affaire contre mer catastrophe, au premier sac

nouveau don et au ressac suivant revient le chant

d’une sirène, les bras chargés d’écume. On est marin

quand on fredonne le prénom de Véronique et que

le coton d’un nuage emporte la voix. On naît marin

à la première alerte lancée contre l’assaut.

***

De ce côté

 

De la chambre on voyait la face cachée des larges

feuilles et le soleil intermittent éclairait les nervures,

le suc circulait, les yeux suivaient son parcours

à peine visible ; aimer roulait dans les veines.

J’avais une chanson verte, impromptue sur les lèvres,

je la murmurais pour ne pas éveiller la dynamique

des choses qui, surprise par ma voix de tête,

aurait cessé, réduisant l’amant vain à ce vague inutile.


Fabrice Farre a publié son vingtième recueil DES EQUILIBRES en 2022, chez Bruno Guattari, avec les photos de Philippe Agostini. Son blog : Poésie contemporaine…peut-être

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