Je viens de dire un dernier au revoir à mon cher ami Marceau Vasseur, disparu cette semaine. Avec lui, j’avais traduit de très nombreux auteurs. J’ai énormément appris à ses côtés. Pour lui rendre hommage, je tiens à publier aujourd’hui sur OuPoLi la traduction de quelques poèmes du recueil du poète espagnol Raúl Quinto La piel del vigilante (DVD Ediciones, 2005), sur lequel on avait travaillé ensemble dans sa maison de Douarnenez.
Ces poèmes avaient initialement été publiés par la revue Le Capital des mots, d’Eric Dubois.
Miguel Ángel Real
El comediante
Un sudario manchado, un traje de segunda mano de harapos y sedas, un disfraz.
(The Velvet Underground)
Es cierto que los hombres se disfrazan
para acercarse más a la verdad.
Vi la piel del incendio derramarse
como un río de algas,
y supe que los cuerpos calcinados
conservan su sonrisa en la ceniza.
Siempre recuerdo las miradas huecas,
los gestos delatores, el perfume
que renuncia a los párpados
para volverse sólido y antiguo.
La condición humana es una mueca.
Yo vi cómo unas manos escarbaron la tierra
para encontrar un agua del color de su alma,
y vi cómo se hundían bajo su propia arena.
Soporté la mirada de este mundo
y rompí a carcajadas cada velo.
Había comprendido la broma de la vida.
Le comédien
Un suaire taché, un costume d'occasion de haillons et de soies, un déguisement
(The Velvet Underground)
Il est vrai que les hommes se déguisent
pour se rapprocher plus de la vérité.
J’ai vu la peau de l’incendie se répandre
comme un fleuve d’algues,
et j’ai su que les corps calcinés
conservent leur sourire dans la cendre.
Je me rappelle toujours les regards creux,
les gestes délateurs, le parfum
qui renonce aux paupières
pour devenir solide et ancien.
La condition humaine est une grimace.
J’ai vu comment des mains ont creusé la terre
pour trouver une eau couleur de leur âme,
et j’ai vu comment elles s’enfonçaient sous leur propre sable.
J’ai supporté le regard de ce monde
et j’ai rompu par des éclats de rire chaque voile.
J’avais compris la farce de la vie.
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El búho nocturno
Esa piel desprendida que no puede besarse más que en pluma
(Vicente Aleixandre)
Los secretos del aire, su ambigua partitura,
esclavizados soles
que se han vuelto metal por culpa del silencio,
yacen dentro de mí
y no me pertenecen,
porque cerré la puerta
para no oír el flujo del vacío
arañando la tapa de aquel féretro.
Volví a tener un rostro,
la miseria de ser una persona.
La sangre no obedece a los cuerpos desnudos,
no responden las venas.
Es hora de volver.
No queda más salida que esta puerta,
al final del camino
nos decide el principio:
los secretos del aire, su ambigua partitura,
que nadie reconozca el color de mis ojos.
Le hibou nocturne
Cette peau détachée qu'on ne peut embrasser qu'en tant que plume
(Vicente Aleixandre)
Les secrets de l’air, leur partition ambiguë,
soleils asservis
métallisés par la faute du silence,
gisent en moi
et ne m’appartiennent pas,
car j’ai fermé la porte
pour ne pas entendre le flux du vide
gratter le couvercle de ce cercueil.
J’ai retrouvé un visage,
la misère d’être une personne.
Le sang n’obéit pas aux corps dénudés,
les veines ne répondent pas.
Il est l’heure de rentrer.
Il n’y a d’autre issue que cette porte,
à la fin du chemin
le début nous décide :
les secrets de l’air, leur partition ambiguë,
que personne ne reconnaisse la couleur de mes yeux.
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El juez de toda la tierra
El juez de toda la tierra, ¿no ha de hacer lo que es justo?
(Génesis 18-25)
Hace quince segundos estaré
sentado en este muro y soy la piedra.
Sé que la arena te recogió mañana
y a pesar de los fluidos te abandono.
Hoy veré el fuego confundido y agrio
que asoló tu columna cuando niña.
¿Pero no acaba el río siempre muerto
asfixiado en las sienes de las olas?
¿Acaso no es impropio para Dios
el perfilar los bordes del abismo?
Pronto flota en el aire esa lágrima
que derramaste sobre un agua espesa.
Ayer los cuerpos de mañana caen
unos encima de los otros, rígidos.
¿Por qué habré de sentir que vuestra vida
es comparable al gozo de la piedra?
¿Acaso Dios no tiene libertad
para crear latidos en el aire?
Le juge de toute la terre
Celui qui juge toute la terre n’exercera-t-il pas la justice ?
(Genèse 18,25)
Cela fait quinze secondes que je serai
assis sur ce mur et j’en suis la pierre.
Je sais que le sable t’a accueilli demain
et malgré les fluides je t’abandonne.
Aujourd’hui je verrai le feu confus et aigre
qui, petite, a dévasté ta colonne.
Mais le fleuve ne s'achève-t-il pas toujours mort
asphyxié sur les tempes des vagues ?
Peut être n'est-il pas impropre pour Dieu
de profiler les bords de l’abîme ?
Bientôt flotte en l’air cette larme
que tu as versé sur une eau épaisse.
Hier les corps de demain tombent
les uns sur les autres, rigides.
Pourquoi devrai-je sentir que votre vie
est comparable à la jouissance de la pierre ?
Peut-être Dieu n’a-t-il pas la liberté
de créer des battements de cœur dans l’air ?