Alain Tronchot – Contre nature

Photographie : Miguel Ángel Real

Chambre

Je reviendrai dans ma chambre d’enfant
Scier les barreaux du petit lit en rotin où languissaient mes nuits
Je reviendrai éventrer
l’oreiller en plume où croupissaient mes sanglots
Je reviendrai pisser sur la cheminée
Où jamais ne s’est glissé
Quelque lutin souriant
Je reviendrai lacérer le papier beige
Que mes griffes sauvages n’en épargnent nul dessin
Que s’évapore l’empreinte même de sa colle
Je reviendrai verrouiller la porte
de ma chambre d’enfant et jetterai la clé
dans le ruisseau
où sombrèrent un matin coupable
tant de livres trop lourds
pour mes doigts d’enfant

***

Si loin

On a injecté le produit sous la peau
On a incisé le nombril
On a fermé les yeux on a fermé la bouche on a cousu la mâchoire
On a rasé le visage
On a massé le visage
On a maquillé le visage
On a coiffé les cheveux
On a posé le corps (froid) dans le cercueil (ouvert)
On l’a voulu convenable
On l’a voulu présentable
On a pensé à la famille
On a ouvert la porte accordé un dernier
hommage
Je m’approche de ce cireux mirage
de ces joues jaunes et enflées
contemple ce rictus figé
puis
recule heurte ma mère qui ne semble pas bouger à quoi bon
Il est déjà
si loin

***

Rocher

Sur le rocher sacré j’attendrai comme un prélude
la rumeur de la vague dans la nuit indigo
le parfum exalté du vertige
et de l’abysse le chant des orgues
solennel
Enfin j’offrirai mes joues au souffle de l’écume
mes bras au ciel indocile
Et mes jambes fauchées par le ressac
Sombreront dans le tumulte des ultimes rencontres


Traducteur littéraire et enseignant, Alain Tronchot exerce à l’Institut européen des métiers de
la traduction (université de Strasbourg). Il a notamment publié chez Écritures théâtrales
Maître François (2013), Adieux, mort prochaine (2014), Lady Florence (2015) et Fluide 8.1/8
(2016). Les éditions Traversées ont réédité en 2023 son long poème Où va ce train qui meurt
au loin ?
, préfacé par Jean-Pierre Siméon.

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