Anne Barbusse – Contre nature

Photographie : A. Rivière Kéraval

Dérèglements

Le soleil s’est levé comme un destin.
La respiration brûlante du bitume est une inadéquation thermique.
On a distendu la conscience
On avale l’urgence
Les cigales franches
Jamais désabusées hurlant leur chant la canicule les systèmes clos le midi élémentaire
La brûlure de nos questions – cigales cigales invisibilisées
Puis questions plates conversations anodines mots sans intérêt
La nature dévie l’interrogation humaine
La solitude finalement a plus de densité
La canicule est une offrande inversée
Le sud organise la route tortueuse parmi vergers abricotiers oliviers
Le sud nous prend
L’été est scrupule du ciel
Il nous rapproche des terres et des eaux y plongeant notre corps déstabilisé sans assise sans
famille mais avec visage télescopé
Des cyprès signalent chemins évidés
Puis la forêt souffle sa fraîcheur de vierge
Et les vignes ont appellations contrôlées mais aucune cigale ne fait défaut
Collines apprivoisées de chênes bas de nos regards de bêtes fauves de nos trajets d’asphalte et
des arbres déséquilibrés
Un grand chêne mort perd un à un ses bras au bord de la route
Un animal se fige en nous en totale contradiction avec les cigales
Le figuier forme des fruits systématiques
Ouverts ils rougissent
Les cigales scandent un été turgescent
L’espace se raréfie.
Une aberration des terres ravagées sans eau.
Seul le figuier continue de faire ses figues. Il halète d’arrache-pied. Guêpes et fourmis dans
les entrailles de ses fruits.
Les rosiers attendent, sans fleurs. Ils ont déjà souffert.
Peur de voir l’effondrement sur les lèvres des plantes, sur l’attente des arbres.
On ne veut pas assister à ce désastre.
On ne peut pas voir les arbres mourir.
L’histoire est vierge de tout soupçon.


****


Collines virant au brun. De loin en loin chênes bruns. Criblés de sécheresse. Nous accusant.
Crevant innocents de notre inconséquence. Sans voix. Alors on parle pour eux, ne peut s’en
empêcher. Les pieds dans le calcaire. On ne sait pas pourquoi tel chêne plutôt qu’un autre, on
ne sait pas. Buis secs et jaunes. Grands arbres, colosses au pied d’argile, vaincus de canicules
et de sécheresses, immobiles et de mort lente. Taches brunes de loin en loin. Chênes
facultatifs et nécessaires. Explosion d’automnes en plein juillet à contre-courant, quelque
chose d’anormal qui nous poursuit, toutes cigales stridentes un peu avant midi, dans la chaleur
écrasée.
Une tache marron, incongrue, automnale en été, cela cache un dérèglement lent, un total
abandon de la matière, qui n’attend que la fin dernière. Les chênes virant au brun sont notre
honte et notre parjure. Ne nous accusent même pas, vaste leurre. Ne pas anthropomorphiser.
Laisser être. Laisser mourir. Parmi cigales cinglantes.
Collines brunissant au loin. Chênes comme d’automne. On marche dans la campagne de
juillet, et de loin en loin chênes roux avant l’heure, harcelés de sécheresse et de canicule,
mourant lentement, piégés.
Arbres brunis, arbres-totems, feuilles déshumanisées, accablement des matières, entre bories
et murets de pierres. Taches brunes hurlantes. Grands arbres pourtant, s’effondrant dans les
chaleurs. Désactivation de la patience. Automnes factices en plein juillet, mort annoncée,
histoires ourdies de tous les dérèglements humains, et chênes innocents qui en subissent les
conséquences, ne disant rien.
Alors on parle à leur place, on ne peut pas s’en empêcher, dans l’inutilité la plus complète
mais pour ne pas succomber de complicité.


Anne Barbusse, poète, écrivain, vit dans un petit village du Gard. Forte de ses convictions écologiques, elle milite pour l’environnement au niveau local.
Dernières parutions :
La non-mère, Pourquoi viens-tu si tard?, 2023
Ma douleur planétaire, Tarmac Éditions, 2024

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