Poèmes de Traigo noche en los zapatos, Ed. La Isla de Siltolá, 2023
Traduction par Miguel Ángel Real
INSOMNIO
Pensaba en esos libros sin leer
que sobreviven en las estanterías,
en el espacio que ocupan
y el polvo estéril que generan.
Como esa gente sola
que prefiere quedarse bebiendo en casa
aun sabiendo que en el bar de abajo
hay más gente sola.
INSOMNIE
Je pensais à ces livres non lus
qui survivent sur les étagères,
à l’espace qu’ils occupent
et à la poussière stérile qu’ils génèrent.
Comme ces personnes seules
qui préfèrent rester chez elles à boire
tout en sachant que dans le bar d’en bas
il y a d’autres personnes seules.
**
GRAVEDAD
Alguien debió de comerse la manzana de Newton
antes de que alcanzara el suelo,
y de ahí las trincheras,
los barcos recibidos a pedradas
y el campo yermo, aun a pesar de la lluvia.
Alguien que se distrajo durante la explicación
y creyó que tomando la delantera salvaba al mundo;
un loco de esos que corrige la verdad con otra nueva verdad,
como los ríos de tinta y estatuas
que arrastran hasta el mar de la ignorancia
cualquier tiempo pretérito.
Un militante del olvido
que no sabe que de las cenizas del fuego se aprende.
O quizá alguien que lo quería todo:
la manzana y el árbol.
APESANTEUR
Quelqu’un a dû manger la pomme de Newton
avant qu’elle n’atteigne le sol,
d’où les tranchées,
les navires accueillis à coup de pierres
et le champ aride, malgré la pluie.
Quelqu’un qui s’est laissé distraire pendant l’explication
et a cru qu’en prenant les devants il sauvait le monde ;
un de ces fous qui corrige la vérité par une nouvelle vérité,
comme les fleuves d’encre et les statues
qui emportent vers la mer de l’ignorance
tout temps passé.
Un militant de l’oubli
qui ne sait pas que l’on apprend des cendres du feu.
Ou peut-être quelqu’un qui voulait tout :
la pomme et l’arbre.
**
ALGO CRUDO
La gente del campo va a la playa,
nada, como mucho, hasta la boya
y come peces muertos, pero frescos.
Luego, regresa al pueblo y pasa tiempo sin probarlos,
porque se le antojan demasiado muertos.
Los pescadores de agua dulce se mojan hasta las rodillas,
lanzan el anzuelo, esperan a que pique el pez
y, después de sacarlo, lo devuelven herido al agua,
porque la ley les permite hacer daño hasta ahí
o porque la presa solo les sirve para eso.
Sin embargo, sobre todas las cosas,
de los peces nos sorprende su falta de memoria,
su necesidad de olvido.
QUELQUE CHOSE DE CRU
Les gens de la campagne vont à la plage,
ils nagent, tout au plus, jusqu’à la bouée
et mangent du poisson mort, mais frais.
Puis ils retournent dans leur village et passent du temps sans les goûter,
parce qu’ils les trouvent trop morts.
Les pêcheurs d’eau douce entrent dans l’eau jusqu’aux genoux,
posent l’hameçon, attendent que le poisson morde,
et, après l’avoir retiré, le rejettent blessé dans l’eau ,
parce que la loi les autorise à faire du mal jusqu’à ce point
ou parce que la proie n’est bonne qu’à cela.
Pourtant, avant tout,
nous sommes surpris par l’absence de mémoire des poissons,
par leur besoin d’oublier.
***
Andrés Ortiz Tafur (Linares, Espagne, 1972). Il travaille comme bibliothécaire. Il est musicien et collabore dans des rubriques éditoriales de la presse écrite. Il a publié quatre recueils de nouvelles : Caminos que conducen a esto (El desván de la memoria, 2013); Yo soy la locura (Huerga & Fierro, 2015), avec lequel il a obtenu le XXIV Prix Annuel des Nouveaux Écrivains; Tipos duros (La Isla de Siltolá, 2016) et El agua del buitre (Baile del Sol, 2020); le recueil de poésie Mensajes en una botella que estoy acabando (Juancaballos, 2018) et l’ensemble d’articles Los últimos deseos (Sílex, 2021). Lauréat de plusieurs concours littéraires, certaines de ses nouvelles et poèmes figurent dans différentes anthologies.

Photographie: Copyright Désirée Vicente