Maël Bouteloup-Leriverand : Trois poèmes

Photographie : Maël Bouteloup-Leriverand

Amzer

D’une ville qui se reconstruit toujours
je viens d’une langue que j’ai perdu
comme déposée aux ailleurs d’une brume
échappée de l’héritage je n’entends que des sons
et la voit sur les panneaux des communes
trace d’un passé gardé comme un drapeau

je viens de là où finit la terre et d’où commence la mer
d’un bout du monde d’un bout de la France à sa pointe ouest
j’ai marché vingt ans dans les rues droites et écorchées
par dessus les histoires que l’on m’a racontées
il paraîtrait que dans les écoles françaises
il y avait un panneau de règles à ne pas enfreindre
sous peine de punition

parmi elles
Ne pas cracher par terre
Ne pas parler breton

une mémoire de bombardé qui se transmet
sous les chants et les danses de Recouvrance

aux abords des architectures défuntes je cherchais l’amour
d’un temps retrouvé mais en exil dans ma tête
je me sentais d’ici et pas là
aux lisières d’un bois qui résiste aux tempêtes
d’une mélancolie dans les vagues galopantes
je regardais les grues sur le port
un œillet vert au cœur et des hortensias aux vents

je me rappelais l’Amzer y voyait les changements
comme un délaissement j’ai grandi en cette ville
mais je crois qu’elle m’a oublié me conseillant de partir
de me réfugier au-delà des solitudes à la renverse
et des tonnerres de Brest

alors je tisse ma peau sans renier les bagad
fonde mon identité comme un nœud marin
et accroche à mes pieds la barque des lendemains.

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Cours Dajot

Aux interstices du bois de mon corps
fleurissent les hortensias d’un vieux jardin
je cueille en triturant des objets contondants
les éclats dormants de nouveaux lendemains

laboure mes platebandes pour que vienne à la surface
ce que je ne veux plus cacher
et à mes bras reposent tous mes efforts
pour capturer ce qui change

comme la ville et moi se métamorphosent
comme les grues au port toujours s’imposent

quand je me plains sous les hommes de Paul Bloas
leurs mains rudes redressent mon menton
laissent des empreintes et du suc avant de devenir hêtres
je me souviens des fragments de tendresse déposés sur les ponts
et que ça amenuisait mon vertige

au loin on sentait la lavande se refaire carnation
répandre dans nos nez l’espérance de l’été
les chants et les danses bousculaient les rues
jusqu’au ciel et aux ventres vibraient les bagad
chamboulaient peu à peu mes racines

j’ai aimé à en perdre mon souffle
me suis bourré de bières de bonbons au miel et de calmant
avant de contempler vue sur cours Dajot un rayon de lune
traverser les nuages
frapper les vagues
éclairer les visages
brutalement marquer son absence dans cet espace où
ensemble nous avions vécu des baisers de beurre et de sel.

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Un nom sur la Penfeld

C’était avant de jeter mes pensées d’une autre vie
aux daurades comme hameçon

je ne savais pas me fixer je flottais
tentais de m’accrocher à des corps étrangers
comme amarres à une terre sans frontière
à quel lieu me trouvais-je

j’ai cherché un nom partout où je traînais
accolant ma peau aux plantes de la Penfeld
j’ai imaginé son histoire plusieurs fois
déracinée par les bombes et les tempêtes
son torrent limité par les barrages
on voulait la contrôler on la faisait plus sauvage

l’herbe s’éveille et le bois parfois me parle
le printemps se penche au-dessus de l’écoulement
et si la fuite m’avait été querelle auparavant
la boue capturant mes pas est une consolation

sur elle aussi j’ai pleuré et me suis tordu
épanché en me cachant des promeneurs
j’ai aussi joui d’un corps caméléon
craignant d’être comme un tissu effilé
aux branches d’une mauvaise herbe

je suis revenu sur la rade par les sentiers
j’ai écumé la météo bancale me faisant
parapluie et paravent
les rues étaient pourtant les mêmes
aussi droites et bétonnées il m’a semblé
que je retrouvais un nom
et qu’il était breton.

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L’auteur se présente :

Brestois de naissance, j’y ai vécu près de vingt ans, y ai fait mes études, et me suis installé en Janvier 2024 à Paris, afin d’apprendre l’art de la lecture et de la performance poétique. J’ai publié un livre en 2021 aux éditions Cœur de Lune qui s’appelle Au placard le cœur. Auparavant, j’ai étudié les lettres modernes et ai effectué deux mémoires portant sur les écrits du Sida et notamment ceux de Cyril Collard et de Hervé Guibert.

J’ai travaillé longtemps en tant que surveillant d’internat à l’école des Mousses à Brest, ai enchaîné des petits contrats par-ci par-là, avant de me consacrer spécialement, en 2023, à l’écriture poétique libre. Depuis un an, je publie aussi régulièrement des Semblants de vers tous les fins de mois sur mon site internet et de manière plus occasionnelle dans la revue Hélas. 

Je m’intéresse beaucoup aux choses qui nous façonnent et nous tissent une peau et une identité. Les lieux sont donc importants pour moi. Mon départ de Brest est un évènement que j’estime important, et depuis je ne cesse de penser à une façon d’exprimer ce départ et ma relation complexe à cette ville, teintée de mélancolie de joie et d’errance.

Ces trois poèmes que je vous présente ici se veulent une illustration de cette relation. J’espère qu’ils vous toucheront.

– Mon site internet : Maël Bouteloup-Leriverand – Écrivain.

– Mon compte instagram : Maël Bouteloup-Leriverand (@maelbouteloupleriverand) • Photos et vidéos Instagram






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