
Photographie : A. Rivière Kéraval
***
Ça commence toujours ainsi, un solo derrière ta chevelure : répétitions, ruptures, silences sous néons, des touches qui glissent puis reprennent tout depuis le point du jour et le cri d’après la chute… amas de bouteilles, de livres… quelle folie dans ce pas de côté ! Choisir la vie à s’en délecter, ne plus savoir s’y fondre, les yeux trop sensibles habitués à la lumière bleue. Je suis parfois l’esquisse, le Voyant d’avant la fugue. Rares sont mes moments de solitude, la toux devient alors simple alibi, le repoussoir conjugal, les heures sup’ volées à la nuit.
**
La mousse est aussi dure que de la pierre, les griffes sont encore fraîches, le corps attend sa rançon de suffisance. Pour avoir pris la mauvaise pilule, pour avoir rejeté si longtemps le vivant. Ce moment où l’on se retrouve à quatre pattes hurlant à la lune en se remémorant nos vieux rituels, s’arrachant des lambeaux tout entier dévoué à cette transe. Dans l’attente d’un retour au Pays natal, cette régression anale, ce point de chute d’avant la fin. A bas nos murs, nos 15m2 avec vue sur les miettes de notre histoire. Au travers de cette lucarne branlante, nos rires surpris de toujours y croire. Un autre coup de griffe, toi qui me retiens entre tes lèvres, entre tes dents, entre deux imprécations de bonheur.
**
Quand je regarde la fissure, ce point névralgique, l’espace prend une autre dimension. Des visages semblent jaillir des orifices : des bribes, des insultes, des récriminations, aucune joliesse dans les abîmes. Entre deux fractures se rassemble une vérité essentielle. Impossible de mettre des mots là-dessus et c’est bien là d’où se forge ma rage. Elle s’acharne à user de la langue comme d’un palliatif, un passe-temps hivernal avant que le soleil ne me ramène sur le devant de la scène. La posture d’un corps relativement jeune et pétri par tant d’efforts. Une résistance mais à quoi ? La fissure n’est plus là, juste un trou noir, le monde n’est plus, c’est un vortex sans frontière. L’infini, là encore, manque de mordant et d’un puissant vocabulaire pour le contenir.
***
Grégory Rateau est un poète né en 1984 à Drancy vivant à Bucarest.
Son dernier recueil en date, Le Pays incertain, publié à La Rumeur libre éditions, préface de Alain Roussel, est le lauréat du Prix Rimbaud 2024 de la Maison de Poésie-Fondation Émile Blémont.
Ses poèmes figurent dans l’anthologie des Editions Seghers « Esprit de résistance : L’année poétique 2025 » du Printemps des poètes aux côtés de 118 poètes d’aujourd’hui.