Ponctuaire

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Les tirets d’essoufflements

Le point de merde

Les points de suppositions

Le point d’indignation, le tiret disruptif et les points de balbutiements

Les points de négation & certitude

Le point d’ironie

Le point d’exclarrogation

Les points d’imprécation et de résignation

Le point de stupéfaction

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Les tirets d’essoufflement

L’omniprésence des points de diverses espèces ne doit pas occulter les ressources d’autres signes de ponctuation, comme celles des tirets, qui sont encore dans une relative jeunesse, comparativement à d’autres. Largement utilisés pour introduire de subtiles gradations spatiales et pauses temporelles ou servir de manière plus fonctionnelle de « porte d’entrée » aux parties dialoguées ou de barreaux d’échelle à d’éventuelles énumérations, le cadratin est le plus long des tirets et dans cet extrait, Panizza en fait un usage résolument expressif. En morcelant sa phrase déclarative et nous obligeant ainsi à des micro-temps d’arrêt, on se retrouve à la lecture dans le même état d’oppression que le personnage qu’il fait parler (ce halètement est d’ailleurs si bien suggéré que le « dit-il » au milieu de la phrase se révèle superflu). Pour consigner l’usage singulier de ces signes, j’ai choisi de les appeler tirets d’essoufflement (que nous pourrions également dénommer tirets pneumatiques).

« Je — serais — ve — nu — plus — tôt, dit-il, mais — il — y — avait — tell — ment… »

Oskar Panizza, Histoire de lune (Circé éditeur, Strasbourg, 1990, p.105)

Le point de merde

Inutile de s’étendre longuement sur ce signe modelé par Michel Ohl (1946-2014), composé d’un omega minuscule traversé en son milieu par un point d’exclamation, la figure parlant d’elle-même.

Le point en question nous semble avoir été déféqué pour la première fois en 1991 dans « L’An Pinay », livre publié aux éditions Plein Chant, dans lequel on trouve ce quatrain des plus délicats :

Je t’ai dans la peau
Et je t’en sors Selle
Au fond de mon pot
De nuit ô Marcelle

Michel Ohl, dont on ne s’étonne pas qu’il fut membre du Collège de ‘Pataphysique, a placé ce point qui lui est familier en d’autres endroits :

Extrait de texte, par Michel Ohl
(éditions Plein Chant, Marginalia)

Sur Wikipedia, dans une page consacrée aux signes de ponctuation atypiques, Michel Ohl constatait que son invention avait été « joliment rebaptisée point d’aisances ». Sachant qu’il ne lui serait pas venu à l’idée d’euphémiser son point excrémentiel, nous respectons ici le nom d’origine de l’auteur, destiné à en conserver la substantifique « merdescence », perpétuelle et universelle. Et croyons en l’avenir du « point de merde » comme dans l’amour inconsidéré des Lettres, teinté ici d’humour vache :

 » Mais je sais que demain je tomberai en un petit coin de page de décadent obscur, de bousingot, de branque de lettres, sur un point de merde goguenard, le protopoint de merde, le père de tous les points de merde, et mon nez s’enfoncera de lui-même vous subodorez où. »
Michel Ohl, Le point de merde in : Archives de Marginalia
éditions Plein Chant, novembre 2010/novembre 2011.

Eh bien, nous savons maintenant que ce « protopoint de merde » prophétisé par Michel Ohl préexistait, grâce à la perspicacité d’un autre pataphysicien, le Régent Alain Chevrier, preuve une fois de plus que rien ne se crée et que tout se transforme, le caca en or et l’or en caca :

En regard du titre de La Foiropédie, almanach des Chieurs (1761), on peut voir la lettre Oméga [ω] figurant un postérieur, avec cette légende : « Mangez donc des étrons / Si vous les trouvez bons. » (Bibliotheca scatologica…, Scatopolis, chez les marchands d’aniterges, l’année scatogène, 5850 (sic), p.10)

Alain Chevrier, Coprophagie, in Viridis Candela N°262, 15 décembre 2023.

Les points de suppositions

          Un peu dans le même esprit que Raymond Queneau, dans son utilisation conjointe du tiret cadratin et des points de suspension, mais évidemment pas dans le même but, l’écrivain Cami, fin humoriste, nous fait découvrir à sa façon malicieuse ses points de suppositions (au nombre de 5 minimum avec pluriel obligé !), à une époque où, par crainte de censure, la pudeur était encore de mise :

Deuxième acte

Une orgie à la tour.

La scène représente la « Chambre des Orgies » de la tour de Nesle. Cet acte ayant été interdit par la censure à cause de son dialogue lubrique, l’auteur prie ses fidèles lecteurs de l’excuser s’il remplace les répliques de ses personnages par des points de suppositions.

MARGUERITE DE BOURGOGNE, d’une voix passionnée. — …..

RISQUE-TOUT-LE-BALADIN, d’une voix passionnée. — …..

JEANNE ET BLANCHE DE BOURGOGNE, de deux voix passionnées. — …..

LE JONGLEUR DE NOTRE-DAME, d’une voix fatiguée. — …..

(L’orgie se continue dans la nuit).

Cami, L’Homme à la tête d’épingle (Jean-Jacques Pauvert, 1972 – édition originale de 1914).

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Le point d’indignation

La néologie de Raymond Queneau est bien connue, d’abord à travers sa poésie ou ses romans, et il l’a lui-même théorisée dans « Bâtons, chiffres et lettres », divers Propos et « Texticules », faisant le bonheur des linguistes. Curieusement, le système de ponctuation n’a pas tant retenu l’attention de ce grand créateur de formes et inventeur de procédures qui ont contribué au succès de l’OULIPO. Sans avoir fait le tour complet de son œuvre, on n’y trouve qu’une création, celle du point d’indignation[1].

         — Je ne voudrais pas vous vexer encore un coup, mais je vais vous dire une chose ; je les trouve plutôt « à côté » vos réflexions sur l’onanisme.

         — Oh ¡¡ (¡¡, c’est le point d’indignation).                   

         Raymond Queneau, Le Chiendent (éditions Gallimard, 1933).

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Néanmoins, à côté de cette invention personnelle, Queneau s’est servi de certains signes de ponctuation courants pour des usages particuliers. Dans l’exemple qui suit, extrait de son Journal intime, Sally Mara va au cinéma et lorsque la séance débute, Queneau enregistre tel un sismographe l’intensité émotive de son personnage pendant la vision du film, dont il exprime la gradation en passant alternativement de 1 à 3 points d’exclamation :

« Je me tus car Blonde Bombshell venait de commencer. Quelle belle personne, cette Jean Harlow ! Voilà comment je voudrais être ! Des hanches ! Des seins ! Mon Dieu ! Qu’elle est chouette !!! Et avec ça une démarche du tonnerre ! Un coup d’œil catapultant !!! Des cheveux gazéifiés !!! Ah foutre ! Aurait dit Monsieur Presle, elle est formi ! Cette poule-là !!! En plus, le film était marrant ! Je riais tout le temps ! Et très fort !!! C’est vraiment une invention épatante, le cinématographe !!! »

         Raymond Queneau, Les Œuvres complètes de Sally Mara

         (éditions Gallimard, 1962)

Ces points d’exclamation démultipliés est un phénomène familier (il est d’ailleurs avéré que Louis-Ferdinand Céline, qui en use à profusion dans ses écrits, eut une influence sur certains aspects du « parler populaire » de Queneau).  Et de même que l’indignation peut créer le désordre, nous pourrions instrumentaliser la situation pour en arriver, à l’aide de deux ou trois points d’indignation  quenelliens, à un vrai scandale :

De même que les points d’interrogation, les points d’exclamation peuvent paraître en groupe à la n de la phrase. Mais, en même temps qu’une mimique émotionnelle, ils marquent que l’exclamation se fait avec une intensité vocale particulièrement forte; ex. :

         On vient de loin pour le voir, allez, c’t’homme-là ! Pensez… : c’est le seul du pays qui n’ait pas le Mérite agricole !!

         (Légende d’un dessin de M. Capy, dans Le Rire du 1″ juillet 1911).

         Tels étaient les détails horribles que Jérôme Labugade venait de lire dans son journal, et qui lui avaient fait pousser ce cri archimédien :

         — Eurêka ! ! !

         (Rodolphe Bringer, L’Assassinat de la rue Berthe, dans les Histoires drôles, n° 20).

         — Quoi alors ? où c’est q’c’est qu’on va pouvoir briffer ?

         — Dans les gogues !!! hurla le brigadier.

         (Georges Courteline, Le Train de 8 h. 47)

         Comme nous l’avons vu pour le point d’interrogation, c’est, au point de vue linguistique, une simple pause, accompagnée dans le domaine des attitudes du corps et de l’esprit, d’une attente teintée d’une émotion de nature variable, que traduisent des points d’exclamation quand ils constituent à eux seuls la réplique dans un dialogue ; ex. :

         LIGNIER. — … Vous allez leur donner l’orgue de Barbarie qui est aux accessoires. Un machiniste tournera la manivelle. Les auteurs ne diront pas que je leur refuse quoi que ce soit.

         LE REGISSEUR. —  !!!!!

         LIGNIER. —  C’est tout ?

         (Eugène Héros, Comment on fait une bonne maison, sc. I, dans Le Rire du 1°’ novembre 1902)

Tous ces exemples sont tirés de :

Jacques Damourette, Traité moderne de ponctuation, Librairie Larousse, Paris, 1939, pages 88-89

C’est là aussi que l’art littéraire et musical se rapprochent dans la gradation d’intensité dramatique et des indications rythmiques, en passant d’une à trois ou quatre unités, comme la valeur des croches : double, triple ou quadruple, à l’instar des exemples choisis par Damourette. Il faudrait seulement, comme sur la portée, joindre les points d’exclamation, échelonnant ainsi les degrés qui vont de l’exclamation à l’ahurissement ou de l’indignation à la consternation :

            Citons un autre usage, qui n’est pas non plus exclusif à Queneau, se rapportant à ce que je nommerais volontiers un tiret disruptif, parce qu’il introduit une rupture de sens aussi brusque qu’inattendue (malgré l’assonance qui caractérise l’exemple choisi, il me semble correspondre au tiret de séparation et de renfort, défini par Jacques Drillon[2]). Ce tiret cadratin est très utilisé de nos jours pour différents effets ou motifs, surtout en poésie. Le très court extrait qui suit se trouve en dernière partie de l’ouvrage précédent, dans un genre d’ana intitulé Sally plus intime :


« Né en… — néant. »

         Raymond Queneau, Les Œuvres complètes de Sally Mara

         (éditions Gallimard, 1962)

Enfin, j’ai trouvé chez Queneau un système d’expression soutenu par la ponctuation, illustrant un état psychologique particulier, traduit ici par ce que je qualifierais de points de balbutiement, qui s’organisent de manière simple, par encadrement d’une forme dialoguée (laquelle s’achève de manière confuse en véritables bredouillis):

« Un petit essaim d’admirateurs de plusieurs sexes l’emporta. Alors surgit devant moi Barnabé Pudge, la face écarlate.

         — Mais… dit-il.

         — Eh ? interrogeai-je.

         — … ne nous ?… continua-t-il.

         — … ne serait-ce… pas ? rétorquai-je.

         — … avons-nous pas ne pas ?…

         — … me semble que…

         — … je…

         — … vous…

         — … tram…

         — … ouai…

         Les gouttelettes de sueur se mettaient à dévaler son beau front de linguiste.

        — … je que ne vous ne pas ?… demanda-t-il.

         — … re ce que je repeux…, répondis-je.

         — … alors vous vous vous oui oui…, insista-t-il.

         — … mais si vous y en eu eut…, répliquai-je.

         — … ba la hle ble hihi…, poursuivit-il.

         — … ah… Ah…, fis-je

         — … eu eu… eu eu…

         Il revint aussitôt sur ce sujet :

         — … eu eu… eu eu…

         Pendant tout ce temps, je ne pensais qu’à une chose : en aurais-je un souvenir assez exact pour pouvoir scrupuleusement noter cette conversation dans mon journal intime. Et je le fais pourtant huit jours après. »

Raymond Queneau, Les Œuvres complètes de Sally Mara

   (éditions Gallimard, 1962)

Ya Basta, logo
du label musical français(Bordeaux), incluant points d’indignation et d’exclamation.


[1] Merci à Albert Doppagne qui signale ce point : Le Néologisme chez Raymond Queneau. In : Cahiers de l’Association des études françaises, 1973, N°25, pp.91-107.

[2] Traité de la ponctuation française, éditions Gallimard, 1991.

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Le point de négation

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Le point de certitude

À la suite de la princesse Angine de Roland Topor, il serait agréable d’imaginer ce que serait, a contrario, un point d’affirmation – si Jacques Rouxel ne l’avait pas déjà inventé… Qu’importe, au vu de la forme que je me suis plu de lui donner, celle d’un V inversé surmonté d’un point, se ressent l’expression d’une affirmation nettement appuyée : nul doute que ce doigt pointé revêt un caractère d’autorité qui en précise l’usage et se rapporte à un point de certitude.

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Le point d’ironie

Mon but n’est pas de retracer une histoire de la ponctuation, mais de collecter à travers les époques des formes atypiques et usages singuliers de celle-ci. Néanmoins, à propos de la marque d’ironie (ou celle du sarcasme qui lui est quelquefois associée), l’abondance de matière documentaire oblige à en passer par la voie historique. Sa forme, qui reprend généralement celle de notre point d’interrogation actuel inversé en miroir vertical semble apparaître vers 1580 par l’intermédiaire de l’imprimeur anglais Henry Denham (1556-1590), sous le nom de « point de représentation », appelé ensuite « point  d’interrogation rhétorique ». Ce caractère a traversé les siècles, aujourd’hui référencé 2E2E dans Unicode, mais également disponible dans certaines polices telles que Times New Roman :
Mais la première mention connue traitant de la difficulté de transcrire l’ironie textuelle serait due à Érasme : dans un article publié par Courrier  International du 21 janvier 2014 et repris du New Statesman (signé Keith Houston, spécialiste des secrets de la ponctuation), il est dit que l’humaniste hollandais, en 1509, déplorait qu’il n’existât pas de signe pour ponctuer les énoncés teintés d’ironie :

« Érasme ne proposa jamais la moindre solution et il fallut attendre la Restauration anglaise (1660-1688) pour voir enfin apparaître le premier véritable point d’ironie. Il avait pris forme, en 1668, dans l’esprit du révérend John Wilkins, ecclésiastique, philosophe né et inventeur génial – un Léonard de Vinci en mode mineur ».

Le mérite reviendrait donc à John Wilkins d’avoir conçu une marque spéciale pour les propos ironiques, dans un Essai vers un caractère réel et un langage philosophique, mais il faut préciser que ce signe se présentait sous la forme d’un point d’exclamation inversé, à la manière hispanique. Dans la suite des siècles, malgré l’insuccès de son usage, la volonté de signifier le mode ironique ne fléchit en rien. En 1851, c’est au tour de M. Marcellin Jobard, éditeur de journaux, de proposer sa version du point d’ironie, « représenté par une petite flèche » destiné à faire l’économie des expressions du genre : « dit-il en persiflant, ajouta-t-il
en plaisantant, reprit-il d’un air moqueur, etc. » Et Jobard d’insister pour son adoption, au motif que du point de vue rhétorique l’ironie est inconnue dans certains pays et « donne lieu aux plus étranges méprises, voire même (sic) à des duels ». Il est dit par ailleurs que sa marque d’ironie se présentait sous la forme d’une « pointe de flèche surdimensionnée avec une petite tige (plutôt comme un idéogramme d’un arbre de Noël) ». Ce que nous n’avons pas pu malheureusement vérifier. Ce qui s’en approcherait le plus serait à chercher parmi les figures et symboles Wingdings que nous avons déjà mentionnés :

Mystérieusement, le façonnier du point d’ironie le plus connu reste Alcanter de Brahm (alias Marcel Berhnardt) qui fait figurer son point dans L’ostensoir des ironies, publié en 1899, et qui revêt une forme similaire à celle du point interrogatif inversé originel.

Jacques Drillon n’adhère pas à cette marque d’inflexion discursive, pour le motif suivant ― à vrai dire imparable :

« Il s’en trouve encore, dieu merci, pour penser que l’ironie est dans la phrase, non dans le signe qui la clôt. »
                                             Jacques Drillon, Traité de la ponctuation française
(éditions Gallimard, 1991)

De la même manière, avant lui, Jacques Damourette avait réglé son compte à cette « invention saugrenue » Dans son Traité moderne de ponctuation (Larousse, 1939), au chapitre X de Signes de ponctuation mélodiques (p.128), titré « Un signe superflu, et qui n’a point réussi ». Malgré ce constat de faillite, la marque d’ironie ne cesse ironiquement de renaître : ainsi, c’est au tour de l’écrivain Hervé Bazin de faire valoir en 1966 un autre point d’ironie, modelé à partir d’un « arrangement de la lettre grecque ψ », censée représenter « une flèche dans l’arc et correspondant « à ps : c’est-à-dire au son de cette même flèche dans l’air».

D’un point de vue rhétorique, il est vrai que l’ironie est une flèche, mais à notre avis, elle n’est pas toujours un trait lancé, une pointe, car il peut y avoir, selon le degré d’approche et la force d’attaque, ironie dure ou amère (sarcastique) et ironie douce, voire tendre (espiègle). Classifier le signe de Alcanter de Brahm et celui de Hervé Bazin en fonction de la nuance est donc une opération malaisée… Toujours est-il que malgré les efforts pour la combattre et la chasser, comme le chat de la légende, l’ironie revient toujours !
Pour preuve, le point d’ironie fut remis à l’honneur par agnès b. dans son périodique d’art gratuit éponyme, né d’une discussion entre elle, Christian Boltanski et Hans-Ulrich Obrist en 1997.

Par ailleurs, le journal Le Canard enchaîné en fait régulièrement usage.
Enfin, dernier avatar connu (et après Érasme, on a le sentiment que la boucle est bouclée), la fondation néerlandaise CPNB (Collectieve propaganda van het Nederlandse Boek) a présenté en 2007 son ironieteken, d’après un design conçu ainsi :

En se penchant – c’est le cas de le dire – sur les smileys (ou « binettes », québécisme que je préfère), il semble que le point d’ironie se fait aussi supplanter par l’agrément de l’agrégat typographique suivant, que tout le monde à présent connaît bien :

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Le point d’exclarrogation

            Dans sa pétillante Grammaire parallèle (1), Christian Moncelet présente un couplage « interro-exclamatif » ou « exclamo-interrogatif », que j’ai baptisé pour ma part point de stupéfaction ; couplage similaire mais non identique, et qui forme le point d’exclarrogation (ou interrobang, en anglais), créé en 1962 par Martin K. Speckter, un publiciste américain, composé ci-dessous en police de caractères Cochin (où le point d’exclamation doit, pour une question esthétique, légèrement s’incliner à gauche) :

            Bien que difficile à former en typographie, on trouve ce signe de ponctuation original dans certaines polices Microsoft, dont celles qui ont pour noms Arial ou Lucida, (que vous trouverez sans mal dans votre application de traitement de texte en choisissant dans le menu INSERTION > caractères spéciaux, puis sélectionnant ponctuation générale) et qui correspond au caractère Unicode
8253 :

                    Quant au sens à donner à ce signe, il n’a rien de vraiment particulier, Speckter ayant seulement voulu renforcer l’attention de l’observateur au message publicitaire qu’il avait conçu.
Le point exclarrogatif est aussi disponible sous plusieurs formes – light, normal, bold et black – dans la police Wingdings 2 ci-dessous, qui se  compose de logotypes, figures et symboles et non de caractères typographiques littéraux. En conclusion, ce point aura connu un certain succès, malgré son rare usage.

1 Éditions Chiflet & Cie, Paris, 2012.

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Les points d’imprécation et de résignation

« Je lus les trente premières pages en couvrant les marges de points d’interrogation et d’exclamation, en face de phrases comme celle-ci : « Les pères ne font pas de confidences. S’ils en font, c’est signe de faiblesse ou de mort. » Parfois, les points  d’exclamation ne suffisaient plus. Tout un passage m’était consacré. Que faire ? Points d’interrogation ou points d’exclamation ? Inventer des points d’imprécation ? De résignation ? »

François Weyergans, Franz et François (éditions Grasset & Fasquelle, 1997).

Quel écrivain n’a pas éprouvé pareil état de désappointement, après avoir épuisé son maigre arsenal interrogatif et exclamatif ? Le dépit succède à la colère, et la colère au dépit… jusqu’à en devenir misérable ! N’y a-t-il pas lieu justement, pour s’élever d’un degré, d’élargir le spectre de l’expression écrite ?
François Weyergans n’ayant pas réalisé lui-même son souhait, il était tentant de le formaliser à sa place. En l’occurrence, voilà des propositions graphiques qui exprimeraient l’imprécation et la résignation et subviendraient utilement aux besoins engendrés par cet état de carence et situation de désarroi :


• Un point d’imprécation, construit à partir d’un doublement du point d’exclamation et complété d’un trait d’union ; couplé ainsi, le signe figure un H interjectif, pourvu de deux barres parallèles entre lesquelles glisse le couperet fatal, destiné à marquer l’arrêt définitif d’un discours jugé méprisable et condamnable – expression même de l’anathème.

• Un point de résignation formé sur la base d’un point d’interrogation en rotation antihoraire de 90° et  inversé en miroir horizontal, génère une forme humaine en position de prière, symbole d’humilité, voire de soumission (libre à nous de spéculer sur la valeur de cette dévotion, dans le contexte de l’extrait sur lequel il repose). À mon sens, ce signe propose aussi une voie d’accommodement, qui définit une autre façon d’en finir avec tel discours résolument à charge. Un point d’acceptation en quelque sorte, d’appel à la concorde, qui n’est donc pas de dérobade.

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Le point de stupéfaction

Le meilleur argument en faveur de la création d’un point de stupéfaction tient au simple fait que celui-ci existe déjà virtuellement, comme dans cet extrait d’un texte de Varlam Chalamov qui cumule le double effet de la surprise et de l’étonnement, et qui équivaut à un état de stupéfaction :

De temps à autres, mon « cher » beau-frère fouillait les chambres de son père et de sa sœur dans un but « prophylactique ».
— Ces livres sont à vous ?
?!
— Celui-là, le Leskov ?
— Oui.
— Avouez que c’est plutôt douteux, comme littérature !
Je lui ai claqué la porte au nez.

Varlam Chalamov, Mes bibliothèques
(éditions Interférences, traduit du russe par Sophie Benech, Paris, 1992)

Voilà un deuxième et double exemple d’utilisation chez Panizza :

Seigneur ! m’écriai-je en pleurant, qui s’étonnera après cela si cet étudiant pactise avec le diable, avec d’anciens dieux païens, ou noue des relations occultes et impies avec le soleil ou la lune ?! (p.11)
[…]
— Mais pour l’amour du ciel, est-ce que l’on peut enterrer la lune ?! (p.16)

Oskar Panizza, Histoire de lune (éditions Circé, traduit de l’allemand par Dominique Dubuy et Claude Riehl, 1990)

Outre que les occurrences de cette forme de ponctuation, destinées à accentuer l’expressivité de la situation sont nombreuses, nous remarquerons qu’elle est davantage fréquente dans cet ordre, le point d’interrogation (surprise) précédant le point d’exclamation (étonnement), mais dans l’exemple qui suit, tiré du même ouvrage, l’auteur inverse l’ordre, introduisant d’abord l’exclamation, dans la mesure où l’étonnement est supposée l’emporter sur la surprise :

— Trente enfants ! me disais-je ; comment peut-on mettre sur Terre… sur la lune, voulais-je dire, autant d’enfants dans des conditions aussi précaires !? (p.31)

Quoi qu’il en soit, dans un sens ou dans l’autre, il m’apparaît que les valeurs étonnement/surprise ou surprise/étonnement conduisent à un même état de stupéfaction, raison pour laquelle je conçois un signe d’assemblage où les deux points horizontaux de la ligne basse figurent deux yeux écarquillés, qui concourent à redonner à l’étonnement la force qu’on lui attribuait autrefois :

« Être étonné, c’est être littéralement frappé par le tonnerre, ce qui témoigne du choc, de l’ébranlement causé par l’étonnement. Un étonnement léger eût été autrefois impensable. »

Alain Duchesne & Thierry Leguay, La Nuance, dictionnaire des subtilités du français, éditions Larousse, Le Souffle des mots, 1994.

Dans tous les cas, quelle que soit son intensité, l’étonnement dénote quelque chose d’inattendu ; de même que la surprise peut revêtir un caractère bénéfique ou maléfique, on peut également être étonné positivement. En conclusion, si la surprise interroge – ? -, l’étonnement frappe – ! – ; et, forcément, nous dirons que leur association, par degré successif et voie cumulative, engendre la stupéfaction.