Irina Moga

Quartiers grecs, mode archaïque

J’ai vécu dans des quartiers grecs ces derniers temps,
leur architecture délogée :
frontons des temples – Hercule combattant le lion de Némée –
colonnes doriques raccourcies, un été résonnant en blanc,

dépassé par le sable, l’eau de mer
& le timbre étouffé d’une quille de bateau heurtant le rivage –
hoplites qui se précipitent,
parapets de boue et cliquetis d’armes.

Ils m’avaient appelée
Circé sans visage.
Je sillonne les plages sombres et brûlées où les murs deviennent aveugles,
bouleversés par les vagues

rien à montrer
– sauf une incantation.

Parce que, oui, il y avait des sorts, plus que jamais, plus que des
oiseaux dans l’air.

J’étais sur l’île des métamorphoses
qui brise les hommes à volonté, les remplaçant
avec d’autres : le miroir
de leur âme inconscient, carbonisé
par l’inflexion de l’attente.

L’île a changé aussi,
alors que je jette des sortilèges – des flammes dans l’air,
et que je défie la mer
de nous avaler – tous

yeux fermés,

avant que nos paroles, guerriers morts,
soient taillées sur des marches de pierre
et terrasses dans la nuit.

 

 

Neige

La densité de la lumière dans la neige :
un moment envahi par la voix étouffée du soir,
le besoin de se quereller avec le soleil en cendres —
un grain de café gris au milieu de l’après-midi.

Mais on est loin du début d’une fractale ;
il ne reproduit pas notre écho :

un fragment d’étoile en reste écœurée par le froid.

Hybride, incomplet,
le journal sur l’écorce des arbres,
rien d’autre
– sinon un fantôme, en retard à la fête,
la douleur tranchante de l’écriture :

le vide entre deux clics du clavier.

 

 

Trident

Il n’y a pas d’attraction gravitationnelle :

juste une série de matinées enfilées,
et nous tentons de nous regrouper
dans les couloirs du silence.

Nous croyons que nous venons d’une frontière dans l’environnement,
la mise en scène de la lumière :
photosynthèse.

Un engrenage sans boussole
qui n’apaise aucun rocher
aucune tempête
aucune barrière.

Nous entrons dans un espace de raisonnement,
un espace d’erreurs –
membrane et plasma

distancés par le quantum du vert – 
le trident à peine compris des bois.

 

***

 

Irina Moga est une écrivaine canadienne d’origine roumaine qui vit à Toronto, Canada et membre de l’Union des écrivains canadiens (TWUC).
« Sea Glass Circe» , son quatrième livre, a été sélectionné pour un lancement officiel dans le cadre du Toronto LitUp !, Toronto International Festival of Authors (TIFA) en 2020.
Un recueil de poèmes en français, « Variations sans palais », a été publié aux Éditions L’Harmattan (France) en 2020.
Ses poèmes ont été publiés dans des revues littéraires – Canadian Literature,
carte-blanche, Cloud Lake Literary, Poetry Quarterly, Lettres Capitales et ailleurs.
Site Web: http://www.irinamoga.com
Twitter: http://www.twitter.com/poesiecanada