Rémy Leboissetier – Vacances en Aciérie

Il pénétra dans la salle d’attente : elle était en forme d’écrou.

Au moment de s’asseoir, il ne put se retenir et vomit pour la seconde fois : un jet de limaille tomba, piquetant le sol de minuscules ébarbures. Pour dissiper le goût âcre de la poudre, il suça une pastille de lactose. Une femme de service au corps transparent apparut, constellée de diodes clignotantes. Elle s’avança vers lui, d’un air impassible puis, laissant tout deviner de ses connexions, s’inclina, actionnant une sorte de balai électro-magnétique. Sa mission terminée, elle fit rapidement demi-tour et voyant ses fesses de résine superbement moulées, il eut la brève sensation de se déplier, tel un couteau suisse.

Sous la porte, il aperçut du sable, et ce sable remuait. Un climatiseur diffusait des caresses alizéennes, parfum vanille. Au plafond, un petit appareil optique tournait doucement et projetait des images kaléidoscopiques au centre de l’hexagone. Quatre baies, situées à l’opposite l’une de l’autre, permettaient de découvrir les Aciéries. On était en plein mois d’août et les estivants affluaient par grappes, allaient  chercher leur attirail et réapparaissaient vêtus de bleus de travail, tenant à la main une lourde caisse à outils de métal gris. Le minerai se faisait rare, les fourneaux étaient suralimentés. L’âge d’or, l’ère du verre et le grand rêve d’acier, tout cela était pourtant bien dépassé.

En ce temps-là – je parle d’une époque révolue -, il portait une large ceinture de cuir autour de laquelle brillaient chaînes, crochets, anneaux, pinces, ciseaux et gouges… Il était maître-comptable de sa quincaillerie, appointait et affilait chaque matin sa batterie d’outils. Une fois, il avait planté un tournevis dans le dos d’un des hommes de la colonie. Non content de ce crime, en un  tournemain, il l’avait démonté, pièce à pièce. C’était un type aux pieds rouillés, un taulier. Il passa ensuite un an en maison de Corrosion, ses rêves étaient brisés, et il échoua commis chez un sinistre ferblantier.

Un rai de lumière bleutée émergea du trou de la serrure. On avait dû allumer les postes à souder. Il commença à ôter son bronze avec d’infinies précautions. Ses membres grinçaient de façon atroce et il aurait donné n’importe quoi pour une goutte d’huile. A peine pouvait-il bouger les yeux, tant ses orbites étaient grippées. Le moindre effort provoquait des étincelles dans chacune des ses articulations : ce n’était plus qu’un vieux pantin, qui finissait par encombrer…

Il n’était plus seul à présent. Celui qui venait d’entrer, tête rejetée en arrière, avait un foret planté dans la nuque. Heureusement, il portait une minerve en acier galvanisé. Un peu de mâchefer, lichen grisâtre, s’était néanmoins déposé aux commissures de ses lèvres. C’était un grand gaillard avec une tête d’airain, qui portait un uniforme simple et moderne en molybdène. Malgré son handicap, le nouveau venu entama la discussion :
— Dans quelques jours, je repars en mission. Ces vacances sont agréables, mais épuisantes. Et vous ? demanda-t-il, essayant mine de rien de s’aimanter.
Derrière la porte, on entendait les chalumeaux, sifflant-soufflant.
— Moi ? Terminé, ou presque.
— Où comptez-vous aller, si ce n’est indiscret ? reprit l’étranger, d’une voix excessivement métallique.
— Bah… En Sidérurgie, peut-être. Il y a longtemps que j’en ai
envie. Ma femme aussi…
A cet instant, il fut appelé et entra dans le cabinet surchauffé.

Maho