Marie Murski

 

Premier amour, In memoriam

Je voulais saisir
de la cerise en verger
la terre
la lumière aussi
toute baignée de cresson
truite d’une seule alliance

et le livre déposé là
près des forêts.

Courir comme il se peut
courir
dans l’année des tremblements.

Revoir la maison
contre son volet une coulée verte
des rameurs dans la glycine.
Tout retenir dans cette simple odeur
sous l’aile
des dormeurs
dans les arbres.

En ce jour de pierre tombale
il pleut sous les fauvettes.
Je sombre avec le miroir
ne me trouve ni assez belle
ni assez courbe
à cause de la terre
qu’il faut épouser avec toi.

Je bouge un doigt
respire encore
ton odeur de beau chèvrefeuille
tes lèvres qui chuchotent l’horizon
la fenêtre qui bat qui s’ouvre
à pleines mains dans mes collines
tes boucles de cytises
ton odeur d’homme
entre mes coudes et vers le ciel.

L’odeur des pins
je t’aimais je t’aimais
quelque part
comme dans les plus beaux contes
on a fait mourir tous les passants.

Maintenant
c’est rester avec toi
s’installer
tout au bord
se tenir
comme la violette au chapeau des clairières
lentement
caresser ton château fort
ou donner des étoiles à tes yeux
s’avancer
comme l’orage de ceux qui n’aiment pas l’été
le passage étroit dans lequel tu aimes
ma fourrure dans ta belette
l’hiver
l’été aussi.

Te dire : veux-tu du thé ?
Nous ne boirons plus de thé
mais j’aime la timbale du mot
qui fait gonfler le jardin
impudique
me brûler un peu
les lèvres
plier sous ton arc tes chevaux
passer de l’orange au biscuit
comme d’une steppe à l’autre
pour te trouver
me préférer nue sous ton lasso
éteindre les jasmins
entrer en désert avec toi.

Encore une fois, vite,
laisser la rue aux seringats
éteindre les jasmins
entrer en désert avec toi.

**

Au premier oiseau j’écrivais déjà

Tu n’étais pas Océan dans mon pays
je suis née loin de toi
de père en père inconnu
j’ai valsé jusqu’au fracas des digues
lancé mes os dans tes vagues à paillettes
avec le vice d’écrire.

Depuis
mon cœur plein de nuages blancs
sur ton cœur de haute mer
balance.

Ne ferme pas les yeux, Océan,
tes noyées se mirent dedans,
la lune qui danse leur prend la main,
leurs cheveux noués d’algues
sont des cages à matelots,
l’amour chavire
et moi
j’ai la rage d’écrire.

Océan au baiser des falaises,
tu artifices, tu véhémentes,
tu voles dans les plumes des oiseaux
tu planques tes vieux paquebots
piratés dans les gouffres,
tu claques au vent ta tête à l’envers
tu as tes nerfs.

Et moi ton amoureuse,
à l’aube, je découvre ton présent,
ta laisse de mer
déposée sur mes hanches.

Maintenant
c’est rester avec toi,
déferler sous le vent avec toi
Atlantique, mon dernier mot
d’amour.

photos : Maho

**

Demain, quand nous aurons l’âme-rebelle chevillée au corps,
quand nos ailes d’anges déchus en voie d’extinction
ne feront plus parachute,
quand la dernière gentille alouette
aura été plumée,
quand nous hurlerons, les bras en croix,
la douleur des terres brûlées,
là où étaient nos forêts…
là où étaient nos forêts…

Demain, pour ne pas nous perdre,
pour ne pas nous quitter des yeux,
unissons nos maillons de chaîne,
tressons-les pour en faire des ponts
mettons pleines voiles en nos poumons.

On réécrira tout
depuis le début
avec les plumes données en grâce
par les grands oiseaux rescapés
et des encriers de pleine mer,
on réécrira tout…

**

Amour abusé
désarticulé en retour de feu
catapulté
quand le sexe pénètre sous la dalle sacrée
insensible au béton, aux cris,
aux mains jointes sur le triangle d’or,
Bermudes à l’arrachée
Bermudes coûte que coûte
quand l’aviateur-guerrier lâche un pauvre carburant
racle un fond de parachute
enfin
ajuste en boutonnière son trophée
insensible aux larmes de la Grande Ourse
qui gît
cuisses repliées
dans la nuit noire.

Marie Murski est une auteure AEB (Association des Écrivains de Bretagne).
D’origine polonaise par son père, sage-femme de métier, elle exerce en tant qu’humanitaire en Afrique, puis dans la Manche d’où elle publie poésie et nouvelles.  Écriture d’un premier roman. Passage dans l’émission « Apostrophes » de Bernard Pivot en mars 1986 et rédactrice d’une revue littéraire jusqu’en 1990. Elle sera alors séquestrée pendant 14 ans par un homme pervers et violent, cessera de travailler et d’écrire.
Sauvée de justesse, elle reprend son métier de sage-femme, change de nom d’auteure et publie en 2013 un roman, “Le chat silence”, 1er prix littéraire Romillois.
En 2014 paraît “Cris dans un jardin”, Prix des lecteurs d’Aumale, réédité 5 fois, qui relate ses années de violences conjugales. Elle l’écrit pour le théâtre, la pièce est jouée depuis novembre 2018.
En mars 2017, paraît “Le bébé d’Adèle”, Prix Reine Mathilde 2017, thriller qui s’est imposé dans son parcours de résilience.
En novembre 2017, paraît « Le chien jaune avait une oreille cassée », recueil de sept nouvelles, des histoires de filles et de bêtes.
En février 2019 « Ailleurs jusqu’à l’aube » 3ème prix Mallarmé, rassemble l’intégrale de son œuvre poétique aux éditions Les hommes sans épaules, avec une préface de Christophe Dauphin de l’Académie Mallarmé.
En mars 2019 paraît « Les orchidées volantes », roman, aux éditions In8.
En juin 2021 paraît « Mila de nulle part », roman noir, aux éditions In8, primé (2ème prix) au Grand Prix du Roman de l’AEB 2022 et sélectionné pour le prix du roman noir du salon de Lamballe-Armor.
À paraître aux éditions In8 : « Lune rousse » roman.