« Arbre » (pointe sèche) – Véronique Mir-Nezan –
La maison n’est pas seule. Son entrée qu’une vente accorde à de nouvelles silhouettes conserve secret le vent des collines. Chaque peinture à l’huile de maman dans la cuisine, le salon, le couloir qui monte à l’étage et les chambres en est la lumière infinie. Le vent des collines efface tout labyrinthe. Je ne crois pas que la poussière envahisse un portrait vivant, que l’odeur du bois plongé dans l’obscurité ne parle plus d’une fête avec l’herbe coupée, la glycine, la menthe.
Je suis dans l’antichambre de la foudre et j’interroge les signes immobiles de ce qui reste. Ce violon sur la commode, a-t-il été donné par un passeur de rêves après qu’il ait vécu au-delà de nos collines ? Cette statuette si pâle de jeune femme qui lit, une joue dans la main, avec à côté d’elle, sur le piano, un violon qui est aussi représenté dans un tableau, juste au-dessus, quelle lecture fait-elle ?
Et moi, combien d’automnes brûlés dans la chaudière ou d’hivers fous de silence ai-je toujours en moi ?
Voici le grand canapé noir. Je m’y allonge, tout comme papa le faisait ; et comme papa juste avant sa mort, je regarde la bibliothèque. Il avait demandé quelque chose comme ( je le formule de façon plus poétique) : « où est l’album du jardin disparu ? »
…
Dans ma petite chambre sous le toit, le poêle en fonte n’existe plus, mais je retrouve l’odeur de l’épicéa, je sens la furie du foyer qui surchauffait la pièce. Aux murs sont encadrés un champ d’hiver, un chemin creusé dans les bois.
Le temps a séparé un cœur des couleurs et des formes. Petite maman, quel coup tombé d’un ciel de démence, depuis quelques années, masque ta sensibilité ? Il te coupe de la peinture. Sur la neige du paysage d’hiver on voit mes traces de pas. Elles viennent d’une photo que j’avais prise et qui t’avait inspirée.
J’ouvre un tiroir : voici de petites aquarelles. Ce sont des cartes de vœux dont tu réalisais bien des versions, mais que tu n’envoyais pas toujours, ayant de la peine à t’en séparer. A propos de la série sur notre maison, jamais la façade n’est peinte, elle pourtant très typique avec ses galets rouges disposés en arête de poisson. De l’intérieur de l’habitation, par contre, on retrouve le coin de cheminée, la statue blanche au violon, l’horloge comtoise, des compotiers, des verres bleus, des fruits avec un chat, et puis le grand miroir du salon habité par une prairie que des fleurs illuminent.
…
Je me rends dans le bosquet de pins de la propriété. Comme avant. Je ne restais jamais longtemps dans la maison, et souvent je partais marcher à travers les collines jusqu’à l’étang de Johanna, ou alors gagnais la rivière sauvage que les crues faisaient danser, nouvelle entre pierriers, souches et passerelles tordues.
Je suis bien dans le bosquet de pins couvert d’aiguilles. Je regarde, entre les branches, le ciel tourner lentement, et je revois, dans ma mémoire, ce croisement de sentiers, juste avant le plateau des Chambarans, ce rendez-vous aimé depuis l’enfance.
Là-haut, des pins de belle taille faisaient frissonner quelque frontière entre les collines et le désir d’infini.
Aujourd’hui, moi non plus, je ne suis pas seul. La terre, la maison, l’heure qui précède la fin d’un lieu qui fut notre petit royaume écoutent le battement profond du silence. Tout s’apaise dans une couleur libre, sûre des promesses de la transparence, des jours pas si différents alors qu’ils semblent s’effacer, de la complicité de l’herbe, de la pierre, d’une histoire complice et des anciens rivages que l’on croyait privés de source.
Régis Roux – janvier 2024 – Romans, Drôme des collines.
RÉGIS ROUX
Régis Roux est né à Grenoble en 1964. Très proche depuis toujours de la montagne et de la Drôme des collines, il habite à Bourg-de-Péage et enseigne les Lettres Modernes à Romans. Il porte une grande attention aux paysages, au minéral, à la spéléologie, aux empreintes. Si l’Imaginaire l’a marqué pendant sa formation universitaire, ces dernières années il a accentué ses recherches autour de la poésie considérée comme « une forme de mystique ». Il a publié de nombreux recueils de poèmes dont 15 recueils aux éditions Encres vives, de Le Sud des collines (1996) à La fin murmurée des collines (2021) ; Questions posées au paysage, Le Dé bleu, 1998 (Prix de Poésie de la ville d’Angers) ; L’ombre du territoire, Le Verbe et l’Empreinte, 2000 ; Le Grand testament, Bibliothèque des Charbinières, 2001 ; Le Rêve absent d’une marée, Océanes, 2002 ; Du soir aux Mont du matin, La Baraque de chantier, 2020 ; Printemps masqué suivi de Tombeau d’un arbre, 2020. Il est aussi l’auteur de livres d’artistes parmi lesquels Le Coeur de la rivière, avec Yannick Charon, 2017, Eto, avec Yukako Matsui, 2018, Nid bleu des galets, avec Véronique Nezan, 2019, La poésie Mélusine, avec Nelly Sanchez, 2020, Petite suite au-delà de nous, avec Nadia Akrémi, 2022. Enfin, il a publié un recueil de nouvelles, Le Pot du loup, aux éditions Abymes en 2005.
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VÉRONIQUE MIR-NEZAN
Après une formation DNSEP en 1991, Véronique Mir-Nezan est, depuis 2005, graveur autodidacte avec la collaboration de Patrick Zenguinian, taille-doucier professionnel. Elle est aussi, depuis 2009, lithographe aux ateliers de Saint Maur, dirigés par Christian Martin. Professeur à l’école Estienne (Paris), elle dirige ce même atelier depuis septembre 2017. Elle a beaucoup exposé, comme en témoigne la liste ci-dessous (Nous ne citons que les dix dernières années : pour en savoir plus, il suffit de consulter son site www.mir-nezan.com).
Expositions Collectives
2014 Sur les ailes du papier, Collectif, Paris 75005
2015 -2016 GMAC Bastille Paris
2018 GMAC Bastille Paris
2018 Estampe, l’impression révèle l’image, Saint Maur 94
2019 66ème salon de Charenton sur Marne , 94
2019 Un autre regard, Saint Maur 94
2022 : Salon de l’estampe, Saint Sulpice, Paris
Expositions Personnelles
2012-2023 Galerie YMC, Suisse, Vevey
2014 « Œuvres croisées » Galerie rouge 105 Paris 20 ème
2015 « Œuvres croisées » Galerie Dans la cour des Artistes, Wissous 92
2016 « Œuvres croisées 16 » Propriété Caillebotte Yerres
2020 « En deçà » Galerie Manifestampes Paris 9 ème
2023 « De fil et d’encre », Galerie Villa A des Arts, Paris 18 ème.
Auto- éditions
2016 « Impressions », regards sur la technique de l’aquatinte, référence à Goya.
2020 « En deçà » Correspondances.
2023 : « Murs », en cours.