(Miguel Ángel Real / Jean-Jacques Brouard)
1
L’étude des anciens manuscrits a finalement permis de démontrer que les étoiles n’ont rien d’humain. En effet, elles rêvent d’ombre, de silence et elles voudraient découvrir l’origine du temps. Lors de leur combustion, les textes affirment bel et bien que de nombreuses questions se perdent, sans que cela modifie en rien leur destin ultime. Les étoiles n’ont pas de texture et ignorent tout du nomadisme, ce qui provoque en général de grands bouillonnements liés à une sorte de désespoir ; pourtant, dans leur immobilité elles s’obstinent à imaginer le sens des mutations et des saisons, ce qui rend la justesse des cartes stellaires connues à ce jour discutable. Mais à vrai dire, nul n’a besoin de parcourir les étoiles pour concevoir que l’équilibre et le chaos ne sont que des concepts vains, car il va de soi que de cette contradiction permanente de froid sidéral et de chaleur extrême se dégage une harmonie qui est suffisante pour renier l’existence de n’importe quel créateur.
2
Harmonie symphonique de l’impatiente ébullition des amas globulaires et du rêve d’aller brûler ailleurs la substance primordiale. Constantes et obstinées, comme nous le sommes sur terre, les étoiles persistent à briller et, parfois, leur rêve devient réalité. Grosses fleurs palpitantes dans le champ vide, elles explosent et dispersent leur pollen aux confins du néant. Saupoudrant les corps cosmiques d’une semence de lumière qui est promesse de futur, de cristaux fulgurants pour les moissons galactiques. Le vent stellaire fait bruisser les branches du grand arbre de l’univers. Sur ses feuilles minérales, les signes attendent qu’on les déchiffre pour tenter de conjurer le temps et d’embrasser l’espace. La quête du sens nous donne l’impression d’exister…
3
Monde, microcosme, chimère. Une étoile est une inconnue à déchiffrer. Et peu importe que notre esprit se sente affaibli devant le poids des équations : l’essence d’une étoile réside dans l’acceptation de notre propre ignorance car le vrai moteur de l’être humain est la conscience de ce qui nous reste à connaître.
Une étoile est donc la quintessence de la curiosité, que nul télescope ne peut satisfaire. Surgit alors l’envie du voyage, qui à son tour donne naissance aux récits, aux hypothèses, aux labyrinthes les plus ardus, pour venir nourrir notre âme et faire couler la littérature. Mais il faut sans cesse se méfier des dogmes et remettre en cause encore et encore ce qui semble appris : il suffit de respirer le silence des nuits d’été pour maintenir en éveil notre esprit d’enfants et confirmer notre désir d’odyssées éternelles, en franchissant les étapes qui promettent un abri comme des pièges au-delà desquels se trouve la satisfaction de toujours vouloir savoir.
4
L’algèbre des étoiles nous tient en éveil. Inconscients de la doxa, nous écrivons le récit d’un périple, dans le dédale des galaxies imaginées. Hantés par les chiffres secrets qui donneraient un sens au monde, nous sommes en quête de lumière. Nous cherchons dans notre gouffre intérieur et dans l’infini du ciel obscur. La terreur du vide nous saisit au ventre. Et le vertige nous inspire le graphisme rassurant des constellations. Nous lançons nos flèches vers les amas scintillants. Et nous espérons recueillir la poussière de l’origine dans les champs d’astres bleus. Des parcelles de matière nous traversent et nous transcendent. Et les éclairs de particules étincellent dans nos yeux enchantés de mystères. Nous rêvons d’un périple sur un océan d’étoiles. Ses lames enivrent notre esprit dans le grand jeu de l’univers…
5
La distance par rapport aux étoiles est proportionnelle au dédain cumulé sur notre terre, alors que, pour une fois, en dehors de toute loi physique, nous aurions pu déployer la sagesse de nos fantaisies pour en élaborer des descriptions poétiques. La musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres, disait Rimbaud ; et bien, il faudra rétablir la chaleur dans le cœur des étoiles, aussi infime soit-elle, pour que la harpe du cosmos résonne comme une rose à greffer sur nos attentes. Paroles d’étoiles comme un vent qui fait se dresser la houle, éclat du temps qui nous parvient en lambeaux, troncs déchirés par le vide et que nous nous acharnons à reconstruire pour garder nos espoirs : c’est ainsi que le langage s’affirme, pupille abîmée qui nous permet pourtant de transformer le monde.
6
Le monde est fait d’étoiles vivantes et de la poussière des étoiles mortes dans l’enthousiasme dionysiaque de leur efflorescence cosmique. Sphères nourricières, globes fertiles aux tentacules caressantes ou létales, elles sont les yeux du temps qui ont vu l’éternité de l’origine, les bouches qui soufflent le verbe de lumière… Spores des forêts astrales, pollens de matière noire et bogues d’énergie pure, elles sont les gardiennes du destin universel, les énigmes qui hantent et enchantent nos rêves.
7
Quand on regarde les étoiles, en réalité on les imagine. Il s’agit d’un labyrinthe de temps dans lequel jamais on ne pourra s’aventurer, et pourtant les étoiles nous invitent à dépasser les marges de notre esprit. On croit pouvoir y accéder un jour, on croit pouvoir les comprendre, et dans cette prétention naissent des récits inoubliables, pour peu qu’on s’accorde encore la capacité de ne pas être logique. Mais, pauvres humains que nous sommes, nous ne serons jamais capables d’admettre notre insignifiance : on pense depuis des millénaires être des géants, alors que cette frêle lumière qui nous parvient à peine est la véritable maîtresse de nos rêves, et on s’obstine encore et encore à vouloir ratifier notre ignorance et notre prétention en pensant que les dieux sont la clé de voûte du cosmos.
8
Loin d’être, en effet, des entités transcendantes, les étoiles, gros amas de matière en fusion, naissent, vivent et puis meurent. Elles semblent éternelles car nous sommes éphémères, mais s’épuisent à vouloir briller de tous leurs feux. Parfois elles s’épanouissent et violemment explosent, projetant leur plasma, leurs rayons, leurs poussières. Ces nuages nomades fécondent l’univers, engendrent les planètes, ensemencent la vie. Nous sommes enfants d’étoiles dans un monde qui croît comme un arbre géant né d’une simple graine. Tout naît de divisions ou bien de convergences : les racines de l’arbre se fondent en un tronc qui donne les grosses branches, puis les branches secondes, et les petites branches évoluent en rameaux qui portent les bourgeons, promesses d’autres branches et pères d’autres arbres. Qu’est-ce que l’humanité ? Un arbre en fleurs d’étoiles. Si la géométrie de l’étoile à cinq branches la présente souvent comme une forme achevée, il faut voir l’au-delà des lignes qui se croisent à ses angles pointus qui paraissent fermés. Dans un univers courbe, cette géométrie est un réseau d’étoiles qui pousse à l’infini, un labyrinthe astral où évolue la vie. L’homme inscrit dans l’étoile comme un arbre épanoui déploie ses mains sensibles et cherche la lumière…
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