Johan Milan-Heude

Illustration : Mir Nezan (détail)




Nous avons perdu les chemins
Et tout s’est dérobé
Je suivais ta salive sur mon corps
Où a-t-elle disparu
Et comment ?
Ma peau
Un marais asséché
Seule reste
La fièvre malarienne

Je cherche longtemps une digue
Elle devra bien céder
Des centaines de sac de sable

Irriguer nos blessures
Retrouver
Les roseaux et le vent sur la gorge
Trembler alors formait une promesse
Et le temps frissonnait

Que les sentiers sont longs
Tout couturés d’écluses

**********

Les mots ruissellent pourtant
Les rinceaux dans les marges
– c’est là qu’il fallait vivre –
Tout s’enroule et s’enfeuille
Même les ratures
Et tout se peuple de chimères
Alligators aux yeux de reine et de mirage
Des fleurs en pluie
Se logent dans les lettres
Des fleuves en crue
Enclosent les souvenirs
Des tours veillent
Plus petites que les mains des amants
Leur chevelure encrée
Des drapeaux dans le vent

Les mots décalent
Mentir dit mieux

J’écris dans l’à-côté obstinément
Pour ouvrir
Pour offrir
Dans ma peau comme un carré de ciel
Comme autrefois passaient les aigles
Langage aphone un devenir

J’accueille
Dans ce port abouché à nos doutes
Les radeaux et l’écume
Les mots comme des coupes
Rincées d’acide et d’orangers
Où le soleil vient dormir
Et vogue à l’autre bord du monde
Écrire pour abriter les errances
Y rêver tout le jour
Y puiser pour le boire
Le lait chaud de la nuit

À lire dans mes paumes
Je comprends lentement
Les mains tachées d’une lumière crue
Quand je les fais courir avides sur ta peau
Être soi
Creuse un chemin vers l’autre
Ces routes-là sont sans limite

Dans un coin
De la page
Quelque chose s’écaille
Pour traverser le ciel

**********

Je ne suis pas venu pour toi
J’ouvre un espace
Où le cri peut courir
Sans briser

Des feuilles de verre
Diffractent le jour
La pluie
Liste les souvenirs
Creuse un possible
Il neige comme un nid de cendres
La chaleur du repos

Les matins ont couleur du soir
Un même mot
Muet brûlant
Deux syllabes incisées par un souffle

Les galets sur la grève
Découpent le temps blanchi
J’ai oublié l’attente

Et pour moi seul alors je dis
Une terre d’accueil
Délié
Enfin
Ce nom qui est le mien

Johan Milan-Heude

Né en 1988, en Seine-Saint-Denis. Agrégé de grammaire immigré à Paris, mais enseignant dans une ville du nord en classes préparatoires. Une thèse à la Sorbonne explorant la grammaire du désir fait un docteur en linguistique et littérature du grec ancien. Goût évident pour l’Antiquité, la Grèce en particulier et ce pays à toute époque. Pour la cuisine, aussi, l’escalade, la marche, pour naviguer entre les langues. Et pour la poésie. Quelques poèmes publiés dans la revue Arpa (n°133-134 et n°143), et une place sous la Serre du Dépôt de La Page blanche.

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