Photographie – Jean Jacques Brouard
POUR QUI PARLE LE POÈTE ?
Où est-il celui qui parlait le langage des astres ?
Celui capable de réformer le monde
Ou de l’embraser d’un souffle acide
De l’enrouler d’un bon mot
Jusqu’à l’implosion des sens
De faire de tout ce qui était
Cendres incandescentes
Où es-tu ?
Toi le dernier Nadir
Fais-nous entendre ta voix
Tu ne peux plus t’adresser qu’à une poignée d’hommes
Tu dois parler à tous
Descends de ton Zénith
De ta copieuse bibliothèque
Reviens-nous d’Abyssinie
Avec de l’or autour de la taille
Distribue tes trésors au peuple
Accompagne les dans leur retraite
Dans leur solitude de masse
Mais il est peut-être déjà trop tard
Car voici venu le temps des nombrilistes
Des briseurs de rêves
Dans ta silencieuse fureur
Tu nous as tourné le dos à tous
Sans distinction aucune
Ton verbe est à présent inaudible
Ta race est devenue la triste risée des puissants
Invente donc un nouveau langage
Libère-nous des mères abusives
Des costumes étriqués
Embarque-nous dans tes soirs bleus d’été
Fais de chaque vision
Notre éternité
Reviens-nous
Toi l’enfant
Le voyant
Le dernier mendiant
**
TIRER LE PREMIER
Pluie d’été
Pieds en apnée
Et cette lourdeur de soufre
Qui dissout, fige ma volonté
Pose un autre rythme
Quand là-haut
Ça tempête dur
Jusqu’à la fracture
Rien ne semble pouvoir endiguer
La fureur du crépuscule
A cette heure vespérale
Je m’interroge
Qui dois-je remercier ?
Pour toutes ces richesses
Aucune dette dont je devrais m’acquitter
Et pourtant, ma consommation redouble
Je tourne inlassablement de nouvelles pages
Et à chaque fois, je trouve de l’or en barre
Il y en a partout, même à la décharge
Des montagnes mordorées
Une vie entière jusqu’à n’en plus pouvoir
Où est donc mon créancier ?
Toi qui distribues la toute première carte…
Je vois justement défiler des culs-de-jatte
Des excroissances de lèvres cancéreuses
Des gorges gonflées prêtent à s’envoler
Sans parler des regards vides, embrumés
Alors pourquoi moi ?
Je ne mérite en rien tes faveurs
Eux ne méritent en rien leurs fardeaux d’homme
Dois-je m’attendre à une nouvelle main misérable ?
A ton ironie vengeresse ?
J’imagine une comète téléguidée me fondre sur le crâne
Réduire jusqu’à mon dernier neurone
Pour me ramener au fond de la grotte
Celle dont tu m’as extrait
Moi, l’imbécile malheureux
Incapable de décrypter les monuments alentour
Ces blocs de connaissance à présent hermétiques
Mais dans un ultime sursaut vital
Je fixe le ciel
Le poing fort dressé à des années lumières
Je déclame mon plus beau poème
Celui qui transpercera la voûte céleste
Il me faut tirer le premier
Te toucher à mort
Voilà comment, lâchement
Je te remercie
Toi, mon créateur
**
LES VOISINS
La fissure au plafond
Rumeur des confins
L’obscurité qui grandit, grandit
Et avale tout
Jusqu’aux pommeaux du lit
Cet orgasme en postillon
A son intention
La douleur de l’imaginer Elle
Sa toison de jais
Et Lui
Ses mains entortillées
Puisant dans son souffle
Sa jeunesse
Libérant par touches
Sa fureur extatique
Et notre vieil homme, pathétique
Englué dans sa propre substance
Son sexe ridicule
Déjà replié sur lui-même
Les rires qui fusent
Le trou noir à quelques millimètres
De ce qui lui reste de chair
Tout l’immeuble hilare
Leurs yeux collés aux murs invisibles
La goutte d’eau à rendre marteau
Chez le plombier d’en face
Le besoin de faire taire tous les bruits
Toutes les voix
De retrouver le silence du cosmos
De laisser le sol s’ouvrir
Pour renaître encore une fois
**
Grégory RATEAU est un écrivain et poète français de 37 ans né dans le 93, à Clichy-sous-bois. Sa poésie rencontre un bel écho dans différentes revues en France, en Suisse, au Québec, au Portugal (Recours au poème, La revue internationale de la Sorbonne, Revue A, PoesiaRevelada, Cavale, Remue.net, Oupoli, La Page Blanche, Points et Contrepoints, Pro/prose…).
Après de nombreuses années d’errance (Liban, Irlande, Népal…), il vit aujourd’hui entre Paris et Bucarest où il est le rédacteur en chef et le directeur d’un média d’informations en ligne et chroniqueur radio pour la RRI. Il anime également des débats pour le réalisateur roumain primé à Cannes, Cristian Mungiu.
Bibliographie :
– Récit de voyage : Hors-piste en Roumanie, récit du promeneur sélectionné pour le Prix Pierre Loti 2017 et traduit ensuite en roumain chez Polirom (avec un retentissement important dans toute la presse roumaine).
-Roman : Noir de soleil aux Éditions Maurice Nadeau – Les Lettres Nouvelles, sélectionné au Prix France/Liban 2020 du journal l’Orient le Jour et au Prix Ulysse 2020 du premier roman.
-Poèsie : Livre d’artistes aux Editions de l’Oeil de la méduse « Poème Païen »