CHRONÈMES

Les « chronèmes » sont une recension poétique, c’est-à-dire un poème inspiré par la lecture d’un recueil. Il ne s’agit pas d’analyser, mais de transmettre des émotions.

Les chronèmes sont l’œuvre de Miguel Angel Real

Les phrases en italiques sont des vers tirés des livres lus.

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Sommaire (en ordre de publication): pour voir les anciens articles, allez en bas de la page…

  • 1-Aurélien Dony, Amour noir
  • 2-Yan Kouton, Décombres au milieu
  • 3-Patricia Ryckewaert, A la folie
  • 4- Fabien Sanchez, Arden proche
  • 5- Gauthier Keyaerts, Equilibre de l’adagio
  • 6- Béatrice Machet. Tourner. Petit précis de rotation.
  • 7- Max Alhau. Au loin le vent.
  • 8- Christian Viguié, Juste le provisoire
  • 9- Laurence Fritsch, Supplique pour la fin des nuits sans lune
  • 10- Arnaud Rivière Kéraval, Les paysages Ambulants
  • 11 – Olivier Lechat, Géographie de l’Homme-Terre

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Olivier Lechat, Géographie de l’Homme-Terre, Ed. Unicité 2023

A travers la foule sans yeux
Je marche, infatigablement pour quitter ce monde trop réel
Vers la vie qui respire au-delà des apparences.


Et dans un cosmos, un autre imaginaire ,
Le corps qui revit, chair et sang universels
Comme un écho de nous-mêmes
Qui marche et s’éloigne des faux-semblants
Vers l’humain, sans cesse en résistance.


Je jette l’ancre aux orées d’une terre inhabitée
Pour croire à l’instant où la conscience célèbre nos présences
Dans le temps de la mémoire :
Hasard ou équilibre d’un sommeil éveillé
Où l’on ne se perd : ah soif de vie !


Je hais autant que je sublime
Ce monde désaxé
Et entre espoir et silence
Je respire pour toi, sans ombres,
Dans des saisons nouvelles
Loin des cours asservies,
Des rois creux,
Des âmes ayant égaré le cristal de leur jeunesse.


J’attends l’intelligence
Au milieu des voluptés de la ville,
Et j’entrevois aux limbes de mon être ces substances du monde :
J’imagine un chemin de lumière
A édifier comme une offrande,
Comme une révolte qui a tout à dire
Pour briser enfin toutes les chaînes.

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Arnaud Rivière Kéraval, Les paysages Ambulants, Ed. Ballade à la lune 2023

L’enfant s’est noyé dans l’horizon noir
mais le chemin est une rencontre en devenir.
Sans armure on voit enfin
et on oublie la poussière des songes
irisés, comblés de pas qu’on invente
à travers le relief du désert
qui éblouit mes yeux d’un balcon de hasard
pour découvrir que le reflet de l’autre
n’est plus un mirage.
Tu es la salve des ombres créatrices
qui remplit les ruelles d’un désir fait de mille feuilles d’or
comme un vertige nourri de chaleur colorée
et de parfums qui consolident les mondes
nouveaux et nécessaires.
Pars en voyage et caresse l’instant
qui se révèle dans la brume,
conquérant véritable qui cimente l’envie de veiller,
caresse l’instant
comme une peau dévoilée au chevet du jour.
Pars
et oublie de vivre mais vis à tout jamais
dans ton envie de lumière.

 

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Laurence Fritsch, Supplique pour la fin des nuits sans lune, Ed. Pierre Turcotte 2023

Le grand paradoxe
de la nuit:
l’ombre
projetée
par ton absence

Tu pries le vent
pour que revienne
haletante jusqu’au matin
la lumière

Mais la voracité
de la lune
fera-t-elle
reculer le jour?
Après la nuit – la nuit

Pour tout stratagème
devenir silhouette
et comme les phasmes
se faire passer pour brindille
et apprendre:
ne plus subir
ce que tu ne
vois pas

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Christian Viguié, Juste le provisoire, Ed. Rougerie, 2014 

Les mots se cachent et sont des arbres
ou du temps qui a la forme d’une paupière
et dont l’ombre reste enfouie sous la branche
qui n’existait pas.

Les mots ne retiennent aucune preuve
mais ils témoignent malgré eux
de l’étonnement que reflètent les flaques
pour recomposer la beauté et faire exploser sans cesse
le silence impossible.

Les mots déplacent l’exigence du néant
pour que l’on choisisse entre le parfum d’un caillou et d’une rose
loin de l’apaisement, loin des gestes surpris,
loin des regards qui sont
d’abord le reflet de ce que nous n’avons pas dit.

Les mots s’arrêtent entre l’éblouissement et le hasard
et ils durent, à l’affût des éternités brèves
comme ces oiseaux qui ne laissent pas de traces
et ils s’enfouissent dans un ciel déchiré
comme dans un abri, dans la réalité qui attend.

Parole épurée qui surgit des buissons
et dépasse de peu la neige et l’enfance.

Voix brisée sous le sommeil du pommier
qui ne sert qu’à différer le silence.

Écriture qui entoure et qui demande au rêve
de rester fugitif sur les lèvres tangibles.

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Max Alhau, Au loin le vent, Ed. L’ail des ours, 2022

Un chemin à peine défroissé:
de la lumière à la mémoire
tout s’efface mais reste
      à l’écart du temps;
sous le vent
une trace obstinée d’horizon
     un visage en quarantaine
dont on ne trouve que le nom.

On sait frauder avec ses rêves
quand même les paroles
sont dissoutes par le vent.

On crée des pays sans frontières
dans l’éternel voyage des causes incertaines:
le renouveau recherche à éloigner les chimères
mais le vent
balaye sans détour l’avenir et on recommence.

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Béatrice Machet. Tourner. Petit précis de rotation. Ed. Tarmac 2022

tourner annoncer l’invisible comme un rapace – respirer mais pas attendre ni oublier – un tour de monde sans frontière et on virevolte -tout est question de perspective – tourner sans sauver le monde sans laisser prise au désespoir – regard multiple -un cubisme rond est possible -air et énergie – les entrailles au bord des lèvres – les chemins sinueux s’insinuent – on a tort de tordre la raison et pourtant – univers, vers unis, parole dans le cosmos – un par cœur de souvenirs quand ni le cœur ni les souvenirs ne se dégagent mais dégager les lignes tout autour – tourner pour se défouler – pieds nus sur les raisins de la colère – le moût les mots les mâts dos à la mer mais on se retourne question de vie ou de pensée qui a troué – tourner pour se faire exister – quel cercle forme le miroir de Narcisse pour se regarder dans la mémoire déterrée – s’accrocher au vivre faire tourner – absences et/ou fantasmes de l’absence – garder l’enfant qui tourne autour de l’arbre pour être invisible et ne pas dire je et dire jeu et jeter la vie par dessus bord et se retourner encore – tourner -tour né – tour née d’ivoire ou de conscience tourner dans une danse perpétuelle comme une vie qui ne fait que (re)commencer

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Gauthier Keyaerts, Équilibre de l’Adagio, ed. Sémaphore 2022

Tatouer le sursaut
échange de lambeaux
sans ni lieu ni loi :
mode d’emploi pour rechercher la beauté

Que se cache sous les mots évaporés ?
Ce qui n’est pas nommé
ne vit
ne meurt :
graver

Une chute et son vertige
la foi vide
son incantation de la mémoire :
le voyage est-il pérenne ?

Raison du mensonge : le rêve
raison du rêve : le maintenant vicié
le va-et-vient de la force de l’absence :
raison d’être.

Pour déjouer l’ennui
le scribe les stries
piqûres pincements
grès galets

Poids et conscience des pas retrouvés


Et ne jamais perdre de vue l’absurdité de la vie

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Fabien Sanchez, Arden proche, Ed. Lunatique, 2022

Guérir la vie
désamorcer le réel
et dans l’écoulement des jours
être
être encore
être libre (cruel vice)
un évadé authentique
dans les livres et les cafés d’aujourd’hui
ou à Tokyo, une prochaine fois.

Tempo d’attente
Joni, Léonard, Miles, Jim, Bob.

Trajet outragé dans une ville
faite des joies à la Prévert
mais souillées de solitude
et un ailleurs
pour se sentir déraciné.

Tempo imaginaire
Coltrane, Baker, Bashung, Henderson, Reed.

Naviguer
sur le grand Missouri
malgré la peur inavouable
être
être encore
être loin
être dans le temps
compter sur moi
comme dans un miroir
sans solitude ouverte.

Être, enfin.

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Patricia Ryckewaert, A la folie, Ed. Tarmac, Nancy 2022

Elle
les gerçures de la mémoire
traverser le silence qui est un cri absolu
printemps-espoir

Elle
est toutes les femmes
est blessure
avance dans le paysage
et devient paysage
pour combattre l’effroi

Elle et lui
son cri et sa prière
la jouissance et l’âme noire
la morsure et le doute

Elle
enfance et amour que le temps use
n’a pas peur
fait de l’amour avec sa colère
        l’âme dressée au-dessus des cendres

Feindre / fendre les mots
vers / contre le secret
Aimer / tuer les mots
qui trichent
qui effleurent
qui griffent

20/11/2022

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Yan Kouton, Décombres au milieu, Ed. Lunatique 2022

Langue : non-silence
Un corps devient texte
Mais
Il n’y a aucune hâte
À précipiter
La parole

Souffle : source
Pour
Croire encore
À mille choses :
Mouvement !
Le vers
Respire
L’écriture
Tremble
S’enfuit

Nuit : regards
À l’épreuve
Pour voir quand même
Un firmament
Défaire/Refaire
Les liens
Faire cesser
Le vide
Atteindre
Le refus de prolonger
La peur
Chercher
La genèse
De la peine
Et ce qui
Étrangement
L’atténue

Cendre + chair = étreinte
Vie
En dehors
De l’impasse :
Volonté

Passé profané : vieillesse
Distance
Et soudain
Inquiétude
Absence : couteau planté
Dans l’instant
On cherche

Un chemin sans fin :
La vérité
Foncer droit devant

18/11/2022

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Aurélien Dony, Amour noir, Maëlstrom révolution, Bruxelles, 2021

Noir vrai
ruines possibles d’amour
mort avant noir
petit avant noir
des amours douces et sans risques
amours déçues amours quand même
mais surtout pas noires
vrai danse de brûlures réciproques

Des gestes qui nous ressemblent/rassemblent
sur une plaine/royaume
de pluie
de vent
royaume de gestes qu’elle défait
de sa main pour qu’on devienne légers

si doux tes doigts sur ma peau
savants dresseurs de déchirures
sur la chair
l’amour chien
vaut bien le prix
de la morsure

Elle danse et il est glaise
le vers automatique qui s’arrime à la page
sous sa danse à elle et ses mots à lui
le brouillard vers Namur
mais sa danse
le poids d’écrire je t’aime au milieu
d’une chronique dansée et noire
comme une rumeur qui nous poursuit
dans l’exil de son corps.

Brises
Braises
Amour-incendie
Noir encore

17/10/2022