Laurent Margantin

LA MONTAGNE BRÛLÉE

virages
innombrables virages
de plus en plus serrés
tout en bas le bleu
étincelant qui s’éloigne
et disparaît
dans un virage
« l’impasse Rimbaud »
plus loin un deux-mâts
peint sur le mur de
soubassement d’une maison
des hommes en bleu de travail
déroulant des câbles noirs
des bosquets de bambous
au bord de la route
toujours plus nombreux
certains formant une arche
au-dessus de la route
des allées bétonnées en pente raide
menant à des propriétés cachées
par l’épaisse forêt
FORÊT DU BRÛLÉ
plus personne sur la route
CAMP MAMODE
avec des aires de pique-nique
et des barbecues
encerclé par de gigantesques
cryptomérias qui montent la garde
je reste assis là un moment
à lire Les Clochards célestes
la mer et tout horizon lointain
ont disparu, il n’y a plus que la forêt
tout ce qui vient du dehors
et nous guérit, comme le silence ici
ou une petite boule de plumes
qui vient se poster devant moi
pour m’observer, oiseau
qui porte le nom de « tec tec »
nom correspondant à je ne sais quelle activité
plus tard je m’aventure
dans la forêt, sur le sentier
de la Roche Écrite, hauts conifères
sur une pente, puis le sentier
est plein de flaques de boue
et il faut avancer sur des pierres
glissantes avec à droite un précipice
qu’on ne repère pas d’abord
à cause de la végétation tropicale
partout des fougères arborescentes
appelées ici « fanjans »
nombreuses feuilles effondrées
grisâtres, faisant masse sombre
sur le tronc, à côté d’autres feuilles
vivaces et vert tendre
d’autres tec tec jaillissant
de nulle part, posés sur une branche
l’un d’eux corps noir gorge blanche
et tous les légers pépiements autour
formant comme un toit sonore
adorablement doux et frais, invisible
sur les flancs de la montagne
les racines fines et serrées
parfaitement alignées
émergeant de la glaise
semblent minéralisées
avance, avance dans ce monde
des apparitions, même celles des traileurs
dévalant le sentier en sens inverse
sautant d’une pierre à l’autre
à toute allure, traversant sans le voir
LE TERRITOIRE DU REGARD
la forêt accueille dès le matin
sa livraison d’hommes pressés
et donc aveugles, plus tard
retour au camp Mamode
où je reprends ma lecture des c.c
(je n’ai aucunement l’intention
d’escalader une montagne à
toute vitesse, même pas la Roche Écrite)
le ciel se couvre un peu
il est à peine 10 heures du matin
je prends un sentier plus praticable et plus sûr
sentier dit du Morne François
accrochée à une branche
une casquette rouge sur laquelle
est inscrit « Pays basque »
vert tendre de certains arbustes
et derrière branches grises
curieuse harmonie mais
harmonie tout de même
bouquets miniatures aux
fleurs rose et jaune vif
au bout d’une branche de ronce
bourdonnement de milliers d’abeilles
butinant des espèces de fleurs de mimosa
blanches, voix de femmes en contrebas
deux femmes apparaissent
venues ici pour marcher en
devisant tranquillement
chevelure blanche frisée
accrochée aux branches des arbres
ô plantes épiphytes !
et toujours les cryptomérias
grands prêtres de la forêt
devant lesquels je m’arrête un moment
cherchant en vain une prière pour ce temps




 


LAURENT MARGANTIN

Auteur de poèmes et fictions aux éditions Tarmac, Derrière la salle de bains et Abrüpt. Il est également traducteur de l'allemand (Novalis, Franz Kafka, Peter Handke)