Jean-Jacques Brouard

Plaisir du sens

Le texte a été trop souvent
théorisé, travaillé, déverrouillé, analysé, interprété, détourné !
Il faut maintenant
le faire éclater
et disperser ses graines
dans le vent
des plaines !

C’est là qu’un barde
chante
dans les prairies
la parfaite géométrie
des alvéoles de la ruche
le vol étonnant d’un essaim d’abeilles dans le vent
le mystérieux dessin des bûches
la beauté des géantes
l’émerveillement des enfants
l’exquise ardeur
des grands fauves
l’émouvante candeur
des aréoles mauves

Et son chant nous enchante !

 Extases, 1995 – poème publié dans le n° 10 de la revue « La Vie multiple »

 

Miroir brisé

La nuit se brise sur les zèbres de lumière
et déchire la toile des brumes…
Aurore bien venue !
Dans le suc d’amour tournoient les cavales du souvenir…
La main est l’outil du futur
Le sein son élixir
Et la semence une promesse de Nature
Dans le sable mouvant de ta bouche s’enlise notre désir

Erreur mal venue !
Dans le sac d’humeurs se noient les chevaliers
Excalibur l’arme du cauchemar
Le souffle du dragon la drogue du délire
Le sang de Morgane le curare

L’ennui m’abrase !
Les errata, ces embruns de l’aléa,
change la quête en errance
La Poésie m’injecte sa souffrance.

Dans la clairière de la fontaine morne
Les ormes indolents plongent leurs racines
dans l’eau claire où se mire l’Azur.
La folle Mélusine attend le roi Arthur
en caressant son chien.

La brise des cascades enlace les plissements anciens
Et le barde guette la licorne.

 Extases, 1995 – poème publié dans le n° 11 de la revue « La Vie multiple »

Bilan provisoire

Matin clair et silencieux qui berce la pensée
Il est deux heures à peine et tout devient léger
Le vieux nounours veille immobile sous les yeux de Borges
L’horloge prend du retard dans le ballet cosmique
Les astres ne l’attendent pas et filent vers le trou noir
Le temps est diluvien le vent chante l’été
Des puces ont envahi mon cerveau électrique
Des champignons me rongent l’âme Mozart m’enchante
Sortilèges des sens Crise de blues Abus des signes
La bière coule douce et ambrée
Une muse passe belle et cambrée
L’atelier m’offre les couleurs cruelles d’un lendemain inouï
Le temps accélère Le mythe me banalyse
Je fatigue plus vite que mon double
Je suis d’une autre époque et de mauvaise humeur
Et je pourfends l’attendu le poncif l’ennuyeux
Je ne sais plus de quoi hier était forgé
Je m’enivre d’aujourd’hui
Et pour demain j’ai perdu la main
Des heures passent dans l’escarcelle du diable
L’écriture épuise et transfigure…
Quelle malédiction !

Graal amer, 2021 – poème publié dans le n° 12 de la revue « La Vie multiple »

Vie multiple