Bernard Sintès

Les noces avec le sol (extrait)

Un soir où les collines s’entr’épaulent
Nous nous tenons à la croisée d’un feu.

Un homme parle à travers nuit,
Sa voix fait souche sur le vent.

Déjà, notre langage coutumier se ramifie
Parmi la sève encreuse du Poème.

Le temps dérive
Dans les interférences du silence,
Le feu tire sur sa longe.

– Dans nos yeux giboyeux,
Un émouchet vole de plain.

(Plus tard, nous découvrîmes un chemin
Sous le ressaut d’une racine à fleur de terre.)

Corpus ignis (extrait)

Les arrière-pluies de l’automne croquent le fruit indéhiscent de nos mâles forêts. L’eau tourne. Le temps, gainé de lierre, se déprend de ses courbes acides. Sans plus attendre, les pierres pourrissent à l’angle des chemins. Je dessouche les terriers du cœur. J’emprunte la langue des oiseaux, leur itinéraire de pampres et de champignons blancs. Main dans la main, ta peau réchauffe mes aurores.

Tes yeux sont de ce noir si noir qui préfigure ta lumière. Jamais une ombre n’y descend. Un lièvre bai court dans cette herbe du Très Tendre. Tu fourrages ― n’est-ce lui ? ― tous mes étés graciles, spéculaires. Le soir, après que j’eus engouffré tout un essaim de lunes dans le ventre douloureux de tes journées, tes cils de diamant filtrent la nuit, sa longue attente.

L’homme qui est descendu dans le puits d’argile froide, sa main travaille pour la buire et le contour. Douceur de l’anse. Ou de tes hanches. Le temps meule le grain. L’étendue dévore les soleils. Sa femme a le front lauré de choses calmes. On voit des étoiles de sueur et le cerisier noir prend racine sur le tertre, sur la chaux nubile. La nuit, les pierres jetées prendront la place des étoiles. On aura volé le sel nourricier des cruches pour étancher leur soif, notre peau de tambour.

Saison de Brocéliande (extrait)

Le cerisier qui grandissait
Au cœur nocturne de l’oiseau

Tend un miroir à la saison
Qui atomise le soleil
Dans la focale du feuillage.

Calmement,
J’intronise ce lieu
De l’énigme aveuglante

Où le chant s’articule
Au syntagme de l’arbre.

*

L’imminence du jour
Éventra ce royaume
Accroché aux fuseaux du brouillard.

― Oiseau démesuré
Du cerisier forclos
Dans l’éclat de sa neige,

Vous prenez pour la proie
L’espace qui suffoque
Dans les remous de l’herbe

Et ma voix disparaît
Dans ce chant qu’obscurcit
L’évidence solaire.

Bernard Sintès est né en 1963.
Sa famille s’installe en Dordogne en 1980.
Enfance et adolescence placées sous le signe du voyage.
A passé cinq ans en Jordanie. Trois ans en Yougoslavie à l’époque du Maréchal Tito.
Nombreux séjours dans divers pays entre le Proche-Orient et l’Europe.
A vécu en Inde. Exerça en tant que professeur à l’Alliance Française de Calcutta.
Publications : Le Rameau d’Offertoire, éditions L’Harmattan, collection Poètes des cinq continents, 2005.
Une dizaine de plaquettes publiées aux éditions Le Poémier de plein vent.
Participe à la revue La Vie Multiple, ainsi qu’à d’autres revues tant françaises qu’étrangères.
Pour lui, la poésie se doit d’être à l’écoute des bruissements de la langue ; elle est l’intimité du monde.