Trois poèmes tirés du recueil « Asile »
T’es un peu suspect ici
On te soupçonne de mentir
Tu veux vivre
Tu veux mourir
Roulette russe pour les perdants
On n’a rien de magnifique
Juste cette sueur sale
Qui vous lèche aux petites heures du matin
Ils te regardent
Sans pitié
Mais avec pro-fe-ssio-nna-lisme
Ou un truc comme ça
On leur a appris à faire
Avec les gens comme moi
On te parle comme à un demeuré
Je ne suis demeurée nulle part
Je ne sais pas où je me trouve
Dans ma tête
Dans ce couloir éclairé aux néons
J’ai mal aux yeux de la tête
Je vomis tranquillement
Personne ne me voit
Personne ne m’attend
A part toi – je me demande bien pourquoi.
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La petite vieille de la chambre 402
Me sort par les yeux
Elle jette un œil pleurnichard
Sur les décombres de sa vie
La corde autour du cou de son fils
Son mari pourri de l’intérieur
Elle pleure la bouche ouverte
La petite vieille de la chambre 402
Et on voit son vilain appareil
Qui claquète et cliquète
Tels les os d’une morte
Elle est plus morte que vivante
La petite vieille de la chambre 402
Je peux pas la supporter
Elle m’étale son néant
Comme si elle me montrait sa vieille chatte fripée
C’est dégueulasse
Et indécent
Je pourrais l’aider
Un coussin sur la gueule et on n’en parle plus
Mais ici on ne tue pas comme ça
Alors je la subis
Comme une mouche à merde aux yeux toujours mouillés.
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Ici il n’y a rien pour la joie
Il y a un arbre chétif
Qui crève sous les mégots et le mépris du monde
Il y a des mots criés
Qui se noient dans l’oubli
Des têtes mal foutues
Il y a une salle fumeur
Qui traîne dans son sillage des kilomètres de cancers
Il y a une chambre de filles
Avec une demeurée
Qui laisse sa merde
Étalée partout où tu glisses les doigts
Il n’y a pas d’intimité
Oublie que tu aimes ton confort
Ton seul refuge c’est ton crâne
Et il est plein de rien
Il y a des thérapies
Où tout le monde hurle sa haine
Je hais le rouge
L’autre folle m’a volé mon vernis à ongles
Dégagez, y a rien à guérir
Juste à essayer de pas crever
Il y a ce garçon beau comme un dieu grec
Perdu dans un monde trop grand pour lui
Il y a moi, qui suis personne
Et qui attends toi
Qui est quelqu’un.
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Emilie Panisset est née en 1977 dans la région lyonnaise. Elle a étudié la littérature et la civilisation allemandes à l’Université Lyon 2 et à Tübingen (Allemagne). Depuis 2009, elle vit et écrit à Berlin.
Aussi loin qu’elle se souvient, elle a toujours écrit.
Elle a pratiqué divers métiers dont celui de traductrice pendant 9 ans. Elle a créé une association « Les Bricoleurs de mots », dédiée aux ateliers d’écriture qu’elle animait. Elle a participé à de nombreux festivals de littérature, est intervenue dans des lieux aussi différents que des écoles, des bibliothèques et en milieu carcéral.
Elle a publié 8 ouvrages, 5 romans, 1 recueil de nouvelles issu d’une résidence d’écrivains et 2 recueils de poésie.Atteinte de troubles bipolaires, elle a tiré la majeure partie de son œuvre poétique de ses séjours répétés en hôpital psychiatrique.
Les présents poèmes sont extraits d’un recueil inédit intitulé « Mon fils est mort », un long récit poétique à deux voix, suivi de « Asile ».