LA COMPLAINTE DES POÈTES
Les derniers spécimens écument les mers
privés d’équipage
de l’aura des chercheurs d’or
impossible d’imaginer une nouvelle terre
chaque parcelle hurle sa peine
seule l’aigreur fertilise encore
témoin de votre échec
d’un ultime effort
pour coloniser le ciel
l’ivresse sous contrôle
vos cris du coeur ne portent plus
tout maudit est en déroute
pourquoi continuer à vivre
à rêver en martyre
les coups de rame vous abrutissent
alors qu’il suffirait
de plier votre paquetage
de policer votre poème
de dire encore et toujours la bonne aventure
la parole qui rassure
ranger vos attributs dans une bouteille
frères et soeurs aux visages oubliés
pour ceux qui se souviendraient encore
de vous à moi mes pionniers sans peur
je vous conjure de résister encore
de sentir la brûlure, d’épouser la flamme
LA MÉTAMORPHOSE
Traverser une autre éclipse
ne plus contenir la bête
des ombres voilà tout ce qui bruisse
sans qu’aucune figure ne s’imprime
rien ne dure, tout glisse
ainsi va ma colère
(ré)écrire pour ceux qui n’existent pas encore
oeuvrer à contre-temps
par-delà ce présent conjugué au passé
souffrir pour accumuler du dire
dans le refus de la souillure
privé des basses besognes des adultes
sans hypocrisie à opposer au ciel
traîner du pied pour me maintenir au chaud
dans les sables des vivants.
A SEC
Pluies frileuses
alopécie du ciel
loin des cascades à présent stériles
qui ne viendront plus adoucir mes nuits
toutes ces « villes intérieures » du manque
ne reflètent que soupirs
parapluies décoratifs
imperméables à vif remisés
dans les zones d’ombre, inutiles
le sol craquelle
en perte de mémoire
l’herbe peine à fleurir
là où les gouttières privées d’Oasis
hurlent à l’asphalte
insensible au ruissellement de mes vers
aux gestes limites
mimant comme une farce
la tornade impossible.
FONCTIONNAIRES DE L’ART
Ils sont là ventre à terre
léchant la botte du plus assassin
reniant les lichens de l’innocence
pour signer sur de douillets coussins
leurs noms interchangeables
déjà usés sans prendre en âge
privés de colonne vertébrale
ils s’acharnent à museler
Ce qui, en nous
est frère du divin.
Grégory Rateau est un écrivain et poète français né en 1984 dans la banlieue parisienne et vivant aujourd’hui en Roumanie où il dirige un média. Il est l’auteur d’un premier roman, Noir de soleil, chez Maurice Nadeau (sélectionné au Prix France-Liban et au Prix Ulysse du premier roman 2020) et d’un premier recueil très plébiscité, Conspiration du réel, chez Unicité. Ses poèmes sont valorisés dans plusieurs anthologies et dans une trentaine de revues en France/Corse, Belgique, Suisse, Roumanie, Portugal, Pérou, Haïti, Espagne et Italie (Arpa, Europe, Esprit, En Attendant Nadeau, Verso, Place de la Sorbonne, Points et Contrepoints, Le Persil, Traversées, Bleu d’encre, Recours au poème…). Son nouveau recueil, Imprécations nocturnes vient de sortir chez Conspiration éditions ainsi qu’un livre illustré de ses poèmes en collaboration avec le peintre Jacques Cauda, Nemo, chez RAZ éditions.