Alice Grey dormait.
Elle avait croisé dans son sommeil de lourds corbeaux qui passaient dans la neige et, peu à peu, au dehors, des flocons s’allumèrent.
Alice Grey dormait, mais tout son corps, un instant convulsé, se souleva.
Blanc minois tacheté de noir, un chat traversa l’ombre du lit pour venir s’installer, imperceptible, sur le rebord de la fenêtre.
Une fois encore, Alice se tourna violemment, comme pour quitter une vision aveuglante, puis nicha sa tête dans le creux de l’oreiller.
La neige s’amoncelait sur les toits, couvrait l’arête des rochers.
Jusqu’alors impassible, le chat s’aplatit soudain.
Un corbeau venait de s’abattre devant la maison, violant de sa masse hideuse le pur paysage.
Alice était parvenue à l’extrémité du lit ; l’un de ses bras pendait, sa main effleurant le sol, les veines en saillie.
Dans la neige imbibée de son sang, l’oiseau déchu remuait mollement des ailes.
Un bruit sourd se fit à nouveau entendre : Alice avait cette fois basculé.
Sous ses cheveux désordonnés se cachait un visage ruisselant. Près d’elle, au pied du lit, une coupelle de lait s’était renversée.
Les flocons, de plus en plus serrés, formaient une belle unité, sans horizon discernable. Seule, à l’endroit où le corbeau était tombé, persistait une rougeur obsédante qui donnait au regard des proportions gigantesques.
Le chat vint lécher le liquide que lui volait la feutrine absorbante.
À cet instant, le corbeau, dans un ultime effort, révéla son horrible mutilation : ses plumes en pagaille masquaient deux grandes cavités sanglantes à l’emplacement des yeux.
Doucement, le chat s’approcha, flairant le corps d’Alice, explorant sa pâle nudité, aux fines marbrures.
Furtive, la neige élut domicile dans la chambre et, comme dans un rêve, le plâtre se morcelait déjà. Peu à peu, les murs s’estompèrent et l’espace fut envahi d’obliques étincelles…