Trois poèmes de BORGES – Traduit de l’espagnol par Carolyne Cannella

Photo: A. Rivière Kéraval

LABERINTO

No habrá nunca una puerta. Estás adentro
y el alcázar abarca el universo
y no tiene ni anverso ni reverso
ni externo muro ni secreto centro.
No esperes que el rigor de tu camino
que tercamente se bifurca en otro,
tendrá fin. Es de hierro tu destino
como tu juez. No aguardes la embestida
del toro que es un hombre y cuya extraña
forma plural da horror a la maraña
de interminable piedra entretejida.
No existe. Nada esperes. Ni siquiera
en el negro crepúsculo la fiera.

*

 
LABYRINTHE

Jamais il n’y aura de porte . Tu y es inclus
et le château embrasse l’univers
n’ayant ni avers ni revers
ni mur externe ni secret en son sein.
Ne t’attends pas à ce que la rigueur du chemin
qui bifurque en un autre
ait une fin. De fer est ton destin
ainsi que ton juge. N’attends pas l’assaut
du taureau fait homme dont l’étrange
forme plurielle effraie l’inextricable écheveau
de pierres entrelacées.
Il n’existe pas. N’attends rien. Pas même
le fauve qui s’avance au noir crépuscule. .

Jorge Luis Borges Elogio de la sombra [1967-1969]

Traduction : Carolyne Cannella

* * *

LOS RÍOS

Somos el tiempo. Somos la famosa
parábola de Heráclito el Oscuro.
Somos el agua, no el diamante duro,
la que se pierde, no la que reposa.

Somos el tiempo. Somos la famosa
parábola de Heráclito el Oscuro.
Somos el agua, no el diamante duro,
la que se pierde, no la que reposa.

Somos el río y somos aquel griego
que se mira en el río. Su reflejo
cambia en el agua del cambiante espejo,
en el cristal que cambia como el fuego.

Somos el vano río prefijado,
rumbo a su mar. La sombra lo ha cercado.
Todo nos dijo adiós, todo se aleja.

La memoria no acuña su moneda.
Y sin embargo hay algo que se queda
y sin embargo hay algo que se queja

*

LES FLEUVES

Nous sommes le temps. Nous sommes
la fameuse parabole d’Héraclite l’Obscur,
Nous sommes l’eau, non le diamant dur,
celle qui se perd, non celle qui repose.

Nous sommes le fleuve et ce Grec
qui dans le fleuve se mire. Son reflet
change dans l’eau du miroir changeant,
dans le cristal qui change comme le feu.

Nous sommes le vain fleuve tout tracé,
vers sa mer en allé. L’ombre l’a enlacé.
Tout nous dit adieu, et tout s’enfuit.

La mémoire ne frappe pas sa monnaie.
Et pourtant quelque chose résiste
et pourtant quelque chose gémit.

Jorge Luis Borges(1899-1986) Los conjurados (1985) – La proximité de la mer
Traduction : Carolyne Cannella

***

EL  ENAMORADO


Lunas, marfiles, instrumentos, rosas,
Lámparas y la línea de Durero,
Las nueve cifras y el cambiante cero,
Debo fingir que existen esas cosas.

Debo fingir que en el pasado fueron
Persépolis y Roma y que una arena
Sutil midió la suerte de la almena
Que los siglos de hierro deshicieron.

Debo fingir las armas y la pira
De la epopeya y los pesados mares
Que roen de la tierra los pilares.

Debo fingir que otros son. Es mentira.
Sólo tú eres. Tú, mi desventura
Y mi ventura, inagotable y pura.

*

L’AMOUREUX

Lunes, ivoires, instruments, roses,
Lampes et la ligne de Dürer,
Les neufs chiffres et le zéro changeant,
Je dois feindre qu’existent ces choses.

Je dois feindre que dans le passé elles furent
Persépolis et Rome aux remparts de sable fin
Dont le sort fut scellé
Par les siècles de fer qui les eurent défaits.

Je dois feindre les armes et le bûcher
De l’épopée et les lourdes mers
Qui de la terre rongent les piliers.

Je dois feindre que les autres sont. Mensonge.
Toi seule tu es. Toi, mon malheur
Et mon bonheur, inépuisable et pur.

Jorge Luis Borges

Traduction : Carolyne Cannella

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Musicienne-concertiste, enseignante, guitariste-luthiste, pédagogue, linguiste-traductrice, récitante,  Carolyne Cannella est aussi poète. Ses poèmes sont parus dans plusieurs revues, papier et numérique. Elle est partenaire du Festival de Poésie au Château de Solliès-Pont organisé par Georges de Rivas. Elle intervient au Festival Quartier du Livre, Place du Panthéon, Paris 5°,  au Festival Latour poétique, Paris 15°, au Marché de la Poésie, Place Saint Sulpice, Paris 6°, pour ses séances de dédicaces.

Elle est lauréate du grand Prix de Fondation Mompezat 2023 pour son recueil L’instant s’étoile sur l’envol du temps (Unicité)