Poèmes de (Journal du) cheminement parmi, Propos2éditions, 2014
le premier septembre
je m’arrête devant la Rotonde
je descends les ruelles pavées
j’ouvre la porte
sur le seuil je
retrouve par hasard une ancienne camarade de
Boulogne-sur-Mer
mes dix-sept ans
on se rappelle
tous nos morts et les
vivants
on trace la silhouette de nos vies le temps
d’un verre de vin et
des sourires
je pose mon sac
je fais quelques photographies de la maison de Brian
dehors et
du village
tout autour
un dédale
les ruelles les chats les pigeons le village
historique et le
ciel des nuages
je fais quelques instantanés des dessins 1, 2 et 3 de
Martine
et puis je fais mon lit
je dîne je sors souvent dehors
voir
et dedans pareil
je téléphone à la maison tout va bien mais
tu me manques
pour toi pareil peut-être mais les
dessins, ce qui viendrait se
dire
si pouvait—
pour le moins,
essayer
j’évacue les modèles et les
doutes en pagaille
je photographie dans la nuit des ruelles et sous la lune
pleine
je dors en pointillé dans la chambre aux
dessins
***
le 3 septembre,
les cloches dans la nuit de l’église
la marque des heures
l’insomnie des mémoires avec
les trous
au matin le vent passe dans les ruelles
fait le ménage
le gris du ciel est mille et bouge
sans cesse
je bois mon café dans un petit bol blanc
marqué d’encoches grises
hier j’ai photographié l’arc-en-ciel
par-dessus les toits
et dans les ouvertures
ce matin je retrouve les dessins
les mêmes et
différents
le regard a passé
beaucoup de visages me sont
revenus cette nuit avec
les blancs
toute la journée grise
et quelques pas dans la colline
et les dessins
le vent
le changement de la saison
les chats
et
les silences
je prends des photos des sculptures des fleurs
des peintures des bouts de mur
la camarade retrouvée émaille ses terres en son atelier
tout est doux qui
fait empreinte
***
le 3 septembre, encore
est-ce d’écrire loin qui fait
que temps s’espace et
contient
est-ce dessin d’ancrage
est-ce la fenêtre ouverte au versant sud de Lure
quand j’habite le nord
l’autre
côté de la crête blanche
l’ubac des roches et des forêts ma
cabane d’amour ma tribu mon retrait nos
tendresses sauvages nos
brindilles
est-ce versant d’intime qui apaise mes doutes ou
presque me tient la main
devant
comme on pourrait écrire
le peu
dans
la
paume
l’oiseau
le
fil
du
ciel
des voix passent dans la ruelle
nos petits bouts de soi raccommodés
aux autres
des arbres à papillons
la canopée de l’âme son
orchidée et
dessous
la ramure des jungles reconnue
en passant
•
troisième jour dans la maison de Brian
je fais des ronds dans l’eau autour de la maison
comme les chats et
je fais des expéditions dans les ruelles et
la colline
surtout
j’essaie de voir
dedans
•
ici
je relis Thierry Metz sa
brassée d’air et de terre et
d’eau et de
feu sa
voix sa
présence sans
fin
je picore Antoni Tàpies et Henri Maldiney
et Georges Perros
je relis quelques pages des carnets
d’André du Bouchet
toujours
je regarde par la fenêtre et par la porte
ouvertes
**************
Frédérique de Carvalho, née en 1957, a publié plusieurs recueils, essentiellement chez Propos2éditions : (Journal du) cheminement parmi (2014), Déménager l’enfance (2016), 3 montagnes et 2 océans (2018) et Nous revient (2020). En 2020 elle publie Barque Pierre (Ed. Isabelle Sauvage). Elle a également participé à plusieurs livres d’artistes depuis 2011 avec Thierry Le Saëc, Jacqueline Merville, Odile Fix ou Marthe Omé. Avec Mireille Irvoas, elle a créé les rencontres annuelles d’écriture-s « Les petits toits du monde » dans les Alpes de Haute-Provence, qui se sont déroulées chaque année entre 2001 et 2018. Elle a co-créé en 1998 et co-anime depuis l’association « Terres d’encre » dédiée à la création littéraire et poétique et à son partage.