Jean-Jacques Brouard – D’une revue à l’autre

1.-Obsession d’un ailleurs

Obsession d’un ailleurs qui nous ronge
A l’orée du couchant
L’œil dérive à la limite du visible
Dans l’indéfini des cimes
Où flotte le vague souvenir
Des amours d’Ouranos et de Gaïa
Lointains que défient les voyageurs
Frontière que narguent les nomades
Promesse de nouveau au-delà du plus loin
Éternel retour vers l’endemain
Courbures des montagnes dans les brisées de lune
Rivages des forêts embrumées du matin
Mirages des déserts sur la mer du soleil
Ruban noir du grand large
Et l’azur océan arqué comme un navire
Labyrinthes qui se jouent du temps
Point de fuite que déjoue l’espace
Là-bas où tous les oiseaux blancs
S’éparpillent dans le cosmos

Pour échapper à ton sortilège
Il suffit de fermer les yeux
De céder à l’enivrant vertige
De l’autre infini
Qui nous aspire
Le vortex du songe
Qui nous inspire
Les confins du poème

Poème de Jean-Jacques Brouard (tiré du recueil Horizons intérieurs) qui vient d’être publié dans le n°15 de la revue « La Vie multiple » (Contact : omd3@wanadoo.fr – LVM, 3 rue Ambroise Paré 24100 Bergerac)

2.- Antonio, le héros du « Chant du monde »

C’est le titre d’un article de Jean-Jacques Brouard qui vient d’être publié (p. 344 à 351) dans le n°10 de la revue « Instinct Nomade », numéro de  400 pages consacré au grand poète romancier Jean Giono.

Ci-dessous, un extrait de cet article…

 »  […] Pour ce qui est de son physique, Antonio a le « visage dur, sans poils ni graisse »(16), de « grands bras » (17). En comparant le talon d’Antonio a de la pierre, Giono rend explicite sa dureté, c’est évident, mais il fait aussi d’Antonio un être minéral qui résiste au fleuve en roulant peut-être avec lui, comme ces galets du gué qui « voyagent ». En assimilant les muscles de son mollet à une résille, Giono veut en suggérer à la fois la finesse et la solidité, puisqu’il est plus difficile de rompre plusieurs fils qu’un seul. Cette solidité est confirmée par la comparaison de leur épaisseur à celle d’un doigt qui suggère aussi la flexibilité, l’agilité et la dextérité. A plusieurs reprises, Antonio apparaît comme une créature élastique : « Il s’allongea, fit craquer les os des épaules et de ses bras » (23). Sa longueur et sa puissance sont constamment rappelées (25) : il a les bras « longs et solides », « tout entourés sous la peau d’une escalade de muscles ». Plus loin, il « cisaillait le courant avec ses fortes cuisses » (25) et «  sa main saisissait la force de l’eau. » Plus tard encore, on le voit capable de porter Clara (42) ( « Je la porterai… Ne t’inquiète. »). Quand il lutte contre le jeune bouvier qui réclame le marcassin, il l’enserre de ses bras et « ça commençait à craquer dans le garçon » (59).

L’eau personnifiée, constamment associée au personnage, fait de lui un être aquatique, une sorte de frère jumeau du fleuve, aussi caressant, avec son « poil de chat… » et aussi coléreux, avec sa « fougue du cheval, griffe sous la patte de velours ». Il possède une science qui est le savoir-faire avec le fleuve. Le fleuve agit comme un fleuve et Antonio sait comment le déchiffrer, comment interpréter les signes et comment travailler dans le fleuve, avec le fleuve: il devient fleuve dans le fleuve. Antonio est un être résolument amphibie : « ses épaules étaient devenues comme des épaules de poisson. » Cet aspect poisson est renforcé par la comparaison de ses cheveux à des algues (25). Clara trouve qu’il « sent le poisson » (55); « tu sens l’eau » ajoute-t-elle, puis « le fleuve […] sent comme toi ». Matelot aussi le trouve  « souple comme un poisson » (100).

La comparaison de l’os arrondi au « moignon d’une branche » peut faire penser à une mutilation, mais en fait, elle montre simplement que le corps d’Antonio n’est pas anguleux, mais courbe, arrondi, poli par les eaux du fleuve, fait pour la nage. En outre, elle fait d’Antonio un personnage quelque peu végétal, ce qui était déjà suggéré par la « couleur de résine » de son talon. La mère de la route trouve (50) qu’il « sent la sève » et, en écoutant Clara, il se met à trembler « comme le chêne battu par les eaux à la pointe de son île » (55).

La métaphore qui assimile les poils frisés à la « houle animale » renforce bien sûr la dimension aquatique d’Antonio, sa courbure, son étirement, son amplitude, son caractère ondulatoire de nageur émérite, mais aussi lui confère une troisième appartenance, au règne animal cette fois. Cette parenté est renforcée aussitôt par la comparaison avec les « poils de chiens de berger ». Antonio devient alors une sorte d’animal familier, un gardien doué d’une ouïe et d’un odorat  développés, capable de marcher la nuit le long du fleuve, limier sur lequel on peut compter pour retrouver un homme. Cette animalité trouve un écho dans la métaphore « voix de bête » qui connote à la fois la puissance et le mystère.

Par ailleurs, le « creux » d’Antonio montre bien l’aspect aérien du personnage. En fait, il n’existe que par ce qui le complète, c’est-à-dire les éléments naturels :  c’est là que vient « s’enrouler comme une algue la longue plainte du vent » ou la respiration, qui, elle aussi, se love dans ce ventre creux qui permet à l’eau de glisser dans la bonne direction (26). Car Antonio ne lutte pas toujours contre le fleuve, il sait profiter « des jeux de l’eau » et traverser le fleuve « en souplesse » (28). […]   »

SITE DE LA REVUE :

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