Livia Léri, trois poèmes

Photographie MA Real

Exils

Toujours j’aurai été ce voyageur sans amarre
Errant parmi les immensités bleues
Sans boussole
Sextant cassé, navire démâté
Au matin du départ, j’ai enfermé ma mémoire dans un sac
J’ai serré bien fort le lien sur la gueule
Surtout, que ma mémoire ne s’échappe pas
Elle est tout ce qu’il me reste
De minuscules instantanés, l’ocre de ma terre, l’odeur d’une petite sœur, un chaudron qui rit
sur un brasero
C’était il y a longtemps
C’est bien peu
J’en ai pris, des chemins, des bateaux, des charrettes
Je me suis blessé les pieds aux rocailles et aux épineux
Mon cœur est encore plus usé que mes godillots
Dans cette terre aux rocs solides aux arbres bien ancrés
Mes racines ne prennent pas
Je ne suis ni d’ici ni d’ailleurs
Égaré je progresse à travers vallons et criques
Brûlé de soleil
Et je me prends les pieds dans les souches
A la recherche de je ne sais quoi
Ma mémoire est un brasier
Je la sens qui brûle au fond du sac
Surtout, ne pas la laisser s’échapper
A la pierre muette
Qui me dévisage depuis la marge du sentier
Je préfère la mobilité bavarde des vagues
J’aurai toujours été homme de mer
Je suis ce paysage liquide
Aux vagues attentives
Je raconte des histoires d’un autre temps
Deux yeux verts qui m’observent, des paroles fatales portées par le vent, le rire fracassant du
père, des coups de feu dans la nuit, notre village en cendres, les corps délaissés
Les vagues acquiescent mais je n’entends pas leurs mots
Plutôt ce silence à toutes les paroles inutiles
Qu’on prononce pour faire passer l’absurde de la vie
Mais ma mémoire s’agite au fond du sac elle veut s’échapper
Je la plaque au sol
Et je m’effondre, pleurant tous les océans du monde
Au vent
J’ouvre un passage
Que tout cela circule, airs, pays, couleurs, hommes et femmes, arbres, flots
Je tords le cou au temps
Les souvenirs seront mes petits soldats
Désormais c’est moi qui orchestre les éléments
Je décide
Saisissant ma pioche, je plante bien profond mes racines dans cette terre rude qui surplombe
l’océan
Je suis l’ici et l’ailleurs

**

Dans l’ordre des choses

Il est des choses qui parlent
Les vagues sur les galets à Étretat, leur doux murmure sous nos pieds.
Le vent dans le lierre sur le mur de la vieille maison de Joigny, chez ta tante Jeannette.
L’horloge dans le salon bleu.
Ton pull négligemment posé sur le dossier d’une chaise.
Ton sourire sur la photo.

D’autres choses qui se taisent
Ce livre posé sur l’étagère, au bout duquel je ne suis jamais parvenue.
Cette bague de fiançailles que tu m’avais offerte, et que tu m’as récemment réclamée.
La table sur laquelle nous dînions.
Mon regard sur la photo.

Certaines choses font la moue
Ce grand appartement vide du boulevard Magenta, trop grand pour moi, trop vide, depuis que
tu es parti.
La table de l’après-dîner entre amis, dont tu n’étais pas : assiettes sales, miettes de pain,
serviettes froissées, verres à moitié vides délaissés par les convives.
Les arbres du boulevard, depuis la fenêtre de notre chambre, de ma chambre.
La pluie sur le canal Saint-Martin.

Et je vois des choses sourire
Le rhododendron dans la cour de l’immeuble, là, juste entre les deux rosiers.
Le soleil d’hiver contre mon cou, qui se glisse sous l’écharpe.
Les bateaux du port de l’Arsenal, où nous nous sommes promenés le mois dernier, les
péniches du pont de Sèvres.
Le souvenir de toi, quelque part dans Paris.

**

Bonnes résolutions

C’est prévu
Au matin
J’avalerai la lumière du point du jour
Au soir
Je tricoterai les heures de la nuit dans des matières douces
Je tisserai des étoles somptueuses de mots
Aux autres
J’offrirai ma présence dans un papier cadeau multicolore
A moi
Je m’offrirai des fruits mûrs et des paroles d’espoir
Me prenant par la main, je marcherai le long de la route
En toute légèreté
Aux premiers beaux jours
J’épouserai l’océan
Ma pensée naviguera au près, grand-voile bien bordée comme un livre ouvert
La joie chantonnera dans les haubans
Je m’enivrerai de vitesse fertile
A l’été
On m’ouvrira des chemins profonds, des pensées voyageuses
Des sentiers main dans la main
A l’automne
Je m’emmailloterai dans la couleur rousse des feuillages
Et j’avalerai le calme de la nuit à longues goulées
A l’hiver
J’écrirai le secret de la vie dans un petit carnet
Et je le garderai bien au chaud
L’avenir sera une porte grand ouverte

**

Portrait en vert

Les yeux verts de Livia sont assortis aux grands moments de sa vie. Ils se fondent dans les eaux claires des lagons de Polynésie, où elle a vécu ; dans celles, plus fraîches, des calanques du sud de la France, où elle vit désormais. Ils reflètent les mille teintes de la forêt amazonienne, et celle des mangroves de Bornéo et de la Caraïbe, où elle est passée. Les yeux de Livia s’accordent à merveille avec la salade de papaye verte qu’elle aime tant. Quand elle lit les textes de ses auteurs favoris, elle en est verte de jalousie ! Mais ses yeux ont aussi la couleur de l’espoir : le feuillage vert de ses mots ne cesse de croître, et bientôt formera une forêt dense et belle. Elle publie ses nouvelles et ses poèmes dans des revues littéraires hautes en couleurs, et vous pourrez les retrouver sur son site : https://livialeri.wixsite.com/website

 

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