Béatrice Machet – Trois poèmes


Demain verra la fin de la parole.  

Samedi, fin de semaine, fin de mois, fin de contrat, fin d’abonnement, fin des provisions, comme une fin d’hiver. En somme et pour résumer : fin de la parole.
On ne sait jamais comment une histoire se finit sauf que demain c’est samedi et que si une fête commence quelque part, quelque chose se finit ailleurs. Entre les deux endroits s’étirent des phrases qui tissent un filet pour quand il faudra sauter. Une fin d’hiver avec braises éteintes. Des paroles à peine et dans l’encadrement d’un écran : des mots. Qui dit écran dit lumière et si lumière : des yeux attirés. Des yeux avides ou fatigués, blasés ou curieux, brillants ou ternes.
Demain samedi qui peut dire quel soleil se lèvera dans mon cœur afin de soulever cette fin de ciel afin de retrouver une voix qui soit l’expression : et de la fin de la parole et du début de la joie.

 

Il y a les voix

filtrées        qui suggèrent écran
voile vitre murs rideaux …
et l’on entend la qualité feutrée

ou déformée
d’un mystère

Il y a les voix distillées qui suggèrent un processus de séparation

de purification par la chaleur
puis condensation
et l’on entend la qualité liquide

qui goutte à goutte
syllabe après syllabe
révèle une essence de voix
un son limpide
un son net

ce qui resterait d’une lave peut-être
débarrassée des cendres volcaniques

ce qui resterait de la nostalgie peut-être
débarrassée du sable des regrets

Il y a les voix rêvées évasives

Finissant diluées dans un flux d’images
dont on perçoit qu’elles jaillissent
d’une mémoire jusque-là muette

Il y a les voix à suivre

empruntant le chemin de l’oreille
un transfert de vibrations une course de relais
au travers d’une membrane et de cils

Il y a les voix jamais seules

de même qu’on ne peut

séparer l’eau de la soif
la bouche du chant
la source de la mer

 

Muette mais pas sourde

A faire le tour du dictionnaire,
on se désire accompagné d’un passepartout
alors qu’on rêve de records …

A faire le tour
muette mais pas sourde
voilà que m’écorchent les oreilles les mots en « ure »
que le vocabulaire endure :

brisure brûlure morsure blessure … déchirure engelure

mais aussi verdure soudure    enluminure

et celui qui triche : l’azur !

A faire le tour
on apprend que les cadrans ne sont pas tous solaires
que les roues ne sont pas toutes fortune
et
que mon horloge immature regorge d’encoignures

Béatrice Machet est l’auteure de dix recueils de poésie en français et quatre en Anglais. Dernières parutions : Tirage(s) de tête(s), éditions Les lieux dits ; DER de DRE, éditions Voix, Petit précis de rotation aux éditions Tarmac 2022; à paraître RAFALES aux éditions Lanskine. Membre du collectif de poètes sonores et performeurs Ecrits-studio, donne des récitals poétiques avec des musiciens, des danseurs. Est aussi traductrice, anthologiste, spécialiste de la littérature contemporaine des Indiens d’Amérique du nord, avec des ouvrages parus aux éditions Wallada, Isabelle Sauvage, Les lisières, L’attente, Wigwam, ASM Press, l’Amourier, Voix … Elle vit dans le Var, mais aussi quelques mois de l’année aux Etats Unis. Site : beatricemachet.fr