Manon Vuillermet – Citadelle

Photographie © Manon Vuillermet

Citadelle

Ma côte est sauvage.
L’océan, circonstance tantôt aggravante, tantôt atténuante. Tolède.
Souviens-toi.
Cette inscription gravée dans la pierre en figure de proue à la lourde porte de chêne.
Tolède.
Ces mots infinis de ce moine espagnol : « Il n’y a pas de chemin, il n’y a que le cheminement ».
Mer.
Luisante surface de projection à notre Folie.
Quand l’inspiration est muette à l’expiration…
Un grand éclat de silence dans l’immense bleu.
Un bleu total, brutal et désappointant,

Pointant d’un faible nuage l’aube éclatante et certaine d’un possible (?) bonheur.

Surtout ne rien dire.
Écouter l’herbe se désaltérer.
Surtout ne rien dire.

Désherber mes pensées.

(Voler dans les flots verts)

Et ne rien dire, surtout…

Bleu.

Partons sur l’onde, entre deux cordes, sur la portée à six droites infinies.

Te souviens-tu de Smyrne, dis ? Comme le vent y est différent ? Le silence, encore y est figure de poupe…

Bleu.
Il approchait la peau de bois à son oreille comme on écoute l’écho des vagues dans les conques. Pas un jeu d’enfant tu sais !

Iles.
Son regard braise s’assombrit soleil.
Elle, statue qui se bat avec ses propres pierres, animant la forteresse Méditerranée.

L’homme joue avec des cordes. La femme joue avec l’air…
L’eau toujours, couronne à l’amas minéral de leur rencontre. Peut-être est-elle de ces grands pins réincarnés de Tipasa… peut- être est-elle.

Son histoire est imprimée à la corne de ses pieds.
Danse.
« Iles » la sent, elle l’entend.
Elle joue avec l’air, le caresse, le brutalise, l’embrasse. A corps perdu.

Citadelle.

Ils ont bu l’eau avant le naufrage. Et la tasse, et la coupe.

Mes mains ne t’effleurent pas même , sirène toute de chair en mon temple.

Nous ne faisons que passer, mais je te jure que j’aime notre empreinte, ici, sous la voute en coque renversée !
Là.
Là où nous sommes nés !

Dans les reflets et les lumières tranchées, dans le sombre et la féerie d’une île, et toute sa brutalité.
Ce bleu imprimé à nos joues… nos ailleurs sont ici.
Le croiront-ils seulement…

BIOGRAPHIE
Manon Vuillermet est une photographe lorraine dont la famille s’est installée en Bretagne. Née en 1979, elle est la seconde fille du cinéaste Michel Vuillermet, qu’elle suivra comme assistante monteuse, cadreuse et photographe. Le documentariste Yves Billon lui fera également confiance. Plus tard, elle sera stagiaire régie sur une réalisation de Morya Tchibinda. A 11 ans, elle se passionne pour la photographie, apprivoisant le Pentax spot 2 de son père. La lecture comme vorace activité́, nous arrivons vite de Picsou et ‘Mon Amie Flicka’ à Tolstoï et Nabokov, au théâtre de Sartre et de Brecht dans les pages si douces des éditions du TNP. Cocteau, Picabia, les ballets russes ; tout ceci est absorbé tandis que défilent les films parlants et muets de la cinémathèque. Son parcours l’amène à travailler auprès du peintre marseillais Gérard Péralès, s’essayant alors à une petite série d’acryliques. S’ensuit une collaboration intime avec la photographe américaine Noëlle Grosso, une profonde complicité les lient de part l’océan. Quotidien et hasard sont maîtres-mots dans l’histoire écrite et plastique de Manon. « La fascination est l’angle mort du langage » insuffle Quignard, un de ses auteurs de chevet. Peu importe le medium tant il s’agit d’expirer du sensible. Lauréate du Printemps de poètes en 2001, ses poèmes sont édités une première fois dans la revue belge en ligne ReMue avant d’être appelée à participer à la collection franco-bretonne RAZ FRA/BZH aux éditions RAZ menée par Philémon le Guyader !