A través de la tierra juntad todos
los silenciosos labios derramados
y desde el fondo habladme toda esta larga noche
como si yo estuviera con vosotros anclado,
contadme todo, cadena a cadena,
eslabón a eslabón, y paso a paso,
afilad los cuchillos que guardasteis,
ponedlos en mi pecho y en mi mano,
como un río de rayos amarillos,
como un río de tigres enterrados,
y dejadme llorar, horas, días, años,
edades ciegas, siglos estelares.
Dadme el silencio, el agua, la esperanza.
Dadme la lucha, el hierro, los volcanes.
Apegadme los cuerpos como imanes.
Acudid a mis venas y a mi boca.
Hablad por mis palabras y mi sangre.
*
À travers la terre, joignez
vos silencieuses lèvres dispersées
et durant toute cette longue nuit
parlez-moi depuis votre abîme
comme si j’étais avec vous retenu
contez-moi tout, chaîne après chaîne,
maille après maille, et pas à pas,
aiguisez les couteaux que vous avez conservés
mettez-les sur ma poitrine et dans mes mains
comme rivière de rayons jaunes
comme rivières de tigres enterrés
et laissez-moi pleurer, des heures, des jours, des années
des âges aveugles, des siècles sidéraux.
Donnez-moi le silence, l’eau, l’espérance.
Donnez-moi la lutte, le fer, les volcans.
Attirez mes corps comme des aimants.
Envahissez mes veines, ma bouche.
Parlez par mes mots, parlez par mon sang.
–
Pablo Neruda (1904-1973) – Hauteurs de Machu-Pichu – Le Chant général (1950), extrait
Traduction :© Carolyne Cannella
***
No te amo como si fueras rosa de sal, topacio
o flecha de claveles que propagan el fuego :
te amo como se aman ciertas cosas oscuras,
secretamente, entre la sombra y el alma.
Te amo como la planta que no florece y lleva
dentro de sí, escondida, la luz de aquellas flores,
y gracias a tu amor vive oscuro en mi cuerpo
el apretado aroma que ascendió de la tierra.
Te amo sin saber cómo, ni cuándo, ni de dónde,
te amo directamente sin problemas ni orgullo :
así te amo porque no sé amar de otra manera,
sino así de este modo en que no soy ni eres,
tan cerca que tu mano sobre mi pecho es mía,
tan cerca que se cierran tus ojos con mi sueño.
*
Je ne puis t’aimer comme rose de sel, topaze
ou flèche d’œillets qui propagent le feu :
je t’aime comme l’on aime certaines choses obscures,
secrètement, entre l’ombre et l’âme, c’est ainsi que je t’aime.
Je t’aime comme une plante qui ne fleurit pas
et qui porte, cachée en elle, la lumière de ses fleurs,
et grâce à ton amour, dans mon corps vit obscur
l’arôme concentré venu de la terre.
Je t’aime sans savoir comment, ni quand, ni d’où,
je t’aime simplement, d’un amour discret, et sans orgueil :
c’est ainsi que je t’aime ne sachant t’aimer autrement,
si ce n’est ainsi, sans que je sois, sans que tu ne sois,
si proche que sur ma poitrine ta main est mienne,
et si proche que tes yeux à mes rêves se ferment.
–
Pablo Neruda – SONETO XVII – La Centaine d’amour
Traduction : © Carolyne Cannella
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Carolyne Cannella est l’auteure de sept recueils.
✦ IMMUABLE SURGI – éditions Librairie-Galerie Racine (Collection Saint-Germain des Prés)
✦ INSTANTS – Tercets – Hommage au Japon éditions Aga – L’Harmattan (Collection L’Orizzonte)
✦ PARCELLES D’INFINI – éditions Alcyone (Collection Surya)
✦ de PASSACAILLES en BARCAROLLES Haïkus des Temps Présents-éditions Jacques Flament (Collection Miniatures)
✦ OBSCUR ECLAT – éditions Unicité
✦ARABESQUES PURPURINES – éditions du Cygne (Collection Le Chant du Cygne)
✦ L’instant s’étoile sur l’envol du temps – éditions Unicité