Fabien Sanchez

Poème presque fleuve

Les extrêmes tuent l’équilibre
Je dois m’y faire,
De n’être qu’au milieu.
C’est ma tâche d’homme,
Mais en est-ce vraiment une ?
Ce serait plutôt sale
Comme le sont les besognes,
C’est la généralité qui le dit,
Belle jambe pour le singulier.…

Assis place Gambetta, je vois :
Une femme fumer à sa fenêtre
Cela m’est toujours une douce vision,
Une vision qui respire, prend le large, ouvre la fenêtre
Comme un soulagement à l’endroit
Où suffoquent les sentiments.

Des pigeons
Que les salauds appellent
Les rats du ciel
Mangent à mes pieds,
J’en suis là :
Des joies à la Prévert,

Des papiers volettent autour de nous
Dans l’air covidifié,
Dans mes oreilles un miel de trompette et de flute alto
A l’écoute de Gershwin goes to Rio
Du James Dean du jazz, l’ami Chet,
Toujours là quand je ne peux plus y être,
Le seul qui console moins que le valium
Mais les deux font la paire
Quand tout s’effiloche
Comme cette angoisse des nuages quand un ciel les tourmente
Ou qu’ils tourmentent un ciel,
Quand la gorge se coince entre d’étranges entournures

J’attends un ami,
Mais en est-ce un ?
Ou plutôt, en suis-je un ?
Pourtant je lui dois une vie sauve,
Ça fait beaucoup,
Mais pour lui « c’était tout naturel »,
Beaucoup, plus que le verre
Que je vais lui offrir
Au café des banques,
Quel nom sinistre pour un rade qui jouxte un théâtre,
Mais les philistins ne savent pas ce genre de choses,
Ah, comme ils sont nombreux tous ces
Prochains à être
Loin
Il s’en trouve même qui en sont sont contents

Je lis Daniel Boulanger
L’obsédé des retouches
Comme je le suis des détours.

Parfois, j’ai l’impression que
C’est mon silence qui tombe
Sur la pluie,
(Et non l’inverse, donc)
Mais là, il fait beau
Et bruyant
Phosphoration sonore de la cité
Et en moi
Le fond du trou
Aux yeux virginaux
Qui désormais bordent
Ce qui reste de mes
Haines de traine
Arrachées aux provinces des sentiments
Que défeuillent les esprits les plus libres,
Parce-que moins endurcis.

Je ne laisse derrière le soir
Que le chagrin d’un clocher.
Son esprit vit dans la pierre
Et cette pierre meurt en moi.

(Sans rien autour)

 

***

Permission

A Pierre Reverdy

Oublier la misère
en marchant sur
du souffle coupé.

Bénir la tiédeur jusque dans l’air
et les âmes amicales au coin.

Une rue noire où le vent se troue
renvoie à ce « trou noir où le vent se rue »
que tu évoquais,

car c’est l’éternité qui est suspendue aux gens,
mystère qu’on ajoutera à celui de
la matière noire.

J’ai reçu du destin, les ailes
dont tu avais envie.
Ce fut aussi pour partir
mais pas plus loin que ce jour
où la vie ne me doit rien.

Adossé à la statue de la môme,
sous ses bras levés vers le ciel,
mon regard s’ennuie,
le vent dans le dos, puis de face,
salement accroché au quartier,
pas tant dans la peau qu’autour.

Epargné / Eloigné / Protégé / Entouré / Jamais encerclé
loin des labeurs furibonds
qui firent longtemps de ma vie
ce dur métier,
tenu à l’oisiveté sauvage et mystique,
pas celle que craignait Pascal,
rendu au dilettantisme de l’attitude de guingois,
à la nonchalance du pas toujours de côté,
au haussement d’épaules devant la marche folle,
au cœur encore exigeant sur le papier
au temps heureux et ludique
qui a retrouvé ma trace
dans cette ville des pas perdus…

Je dois cela à Dieu,
c’est net et clair.
Je ne dérange pas les grands mots
avec cette légèreté que je mets à vivre.
(Tu t’en doutes )

De ce miracle je ne serai pas le Judas.
Il me faut vivre dans le rayon de son action,
car il l’a fait, il m’a mis à l’abri !

Pourquoi cette élection ?

Moi qui n’entrais pas aux églises
mais dans la chair du doute,
plus tendre que tous ces yeux
que trompent le monde
et qui trompent la vie.

Je me répète : il l’a permis !

Entré dans la fatigue du monde,
j’en suis sorti…

 

***

 

Nouveau poème presque fleuve

L’air doux flatte
le sensualisme et le souhait d’obtempérer
devant une injonction vaporeuse
à me relâcher davantage encore
dans le déjà amorcé lâcher-prise
de ce jour

Il est 21heures passées
devant un déca au café des banques,
en terrasse avec en ligne de mire
l’édifice sage et transparent
du théâtre national de la colline.
dont la façade vitrée s’ouvre sur la rue Malte Brun.

Ma vie n’est pas autre chose depuis quelques temps
qu’une navigation à vue

L’errance s’est dissociée de l’erreur

Ce soin que je mets à aller bien
n’est plus comme une pierre soulevée
et fait de moi un Sisyphe heureux.

Je lis chez Rafael Einthoven.
ceci ( éclairant ?)
Quiconque désire véritablement
la liberté doit maintenir
en lui l’humeur d’un vagabond.

On n’est pas de bois ni de marbre
Banalité à opposer dès
que l’on s’émeut et se le reproche.

M’assurer une bonne fois de ce que signifient
les écuries d’Augias et
la boîte à Pandore.

Songer à écouter l’entièreté des chansons de Gérard Manset
depuis qu’une chambre à La Havane
m’a laissé comme suspendue à elle.

Ecrire une lettre à François Bott
et lui expédier l’un de mes livres.
Envoyer au poète Joël Bastard
ces quelques mots consignés pour lui

Sentes et stances avec le sentiment du lièvre.

Faire contre bonne fortune
également bon cœur.

Voici,
en travers et sans peu de large,
ce que la douceur du soir,
que j’ai laissée
m’ensevelir de pensées
m’a imputé le soin d’écrire,
ce 10 août de l’an de grâce 2021.

J’y ajoute ceci qui veut
que je pense parfois avec Lucien Jerphagnon
Que si je suis l’être d’une journée
Je le suis aussi de tant
et tant d’autres,
Lui, y associe des
vérités éternelles sans lendemain
(Ce qui est fort beau Monsieur)
moi je me charge
comme on se change

de lendemains éternels
sans vérité.

D’aucuns trouveront le contrepied
agile ou facile,

Mais qu’est-ce qui ne l’est pas
sous les voiles,

où,
au contraire des apparences,
on se rend,
non pas tant disponible,
que rendu possible.

 

 

***

FABIEN SANCHEZ est un écrivain (romancier, nouvelliste, poète) né en 1972.

Pour lui, écrire consiste à recoller les morceaux devant l’énigme de ce qui s’est cassé.
De même tente-t-il d’arracher sa part d’ombre à ce que l’ombre a autrefois caché dans son indicible clarté.
Enfin, écrire sur sa vie ne lui appartient pas ; c’est pour ça qu’il le fait.
Il fait sien l’axiome de Paul Auster : Trop de détails et l’enlisement menaçait. Pas assez de détails et on risquait de ne plus rien voir.
C’est parce-que l’écriture libère qu’il est enchaîné à elle.