Fabien Sanchez – L’écart – Minuit au glas béni – Affaire du jour

L’écart

Se dégager de l’acte d’écrire

n’est pas s’ôter du soleil,

mais se mettre à l’ombre

de trop de clarté.

Énergie basse

vécue à bas bruit,

frémissante d’inquiétude

dans la chair d’être. 

La vie acceptée

fait de nous

des vivants à petits feux,

écrivait Perros.

La vie non consentie, la vie refusée

peut opérer sur nous

le même genre de combustion.

C’est l’embrasement qui met en péril la chair de vivre !

Prudence, on pourrait avoir peur.

Mais je voudrais aussi parler de la peur d’être prudent.

Et de celle de ne l’être pas assez.

Deux peurs qui se rencontrent

doivent-elles s’affronter ?

Y aura-t-il nécessairement antagonisme,

guerre d’aucun territoire,

victoire à la Pyrrhus,

dans la chair de l’être ?

Il y a une part de plomb dans l’esprit

et dans la chair de toute idée.

Pour être habile, il faut l’écart.

 

****

 

Minuit au glas béni

 

Chroniques d’un émoi chronique,

promenades dans les émois,

romances de cabines téléphoniques,

cigarettes nocturnes au bout d’une intempérance maquillée d’élégance,

l’amour moderne par David Bowie

sous les baisers de l’adolescente au gout de café et de Royale Menthol,

petite fille sauvage d’une nuit d’été avec ses doigts dans mon dos.

Voici cette évocation,

faite profil bas

et mains sur le corps.

Disjoindre cent peurs de cent reproches.

Manière non pas d’idéal mais de vœu,

aussi pieux

que le velours de vivre,

in a minor groove.

***

Affaire du jour

 

Ma présence à ce jour est comme inhabitée.

Je n’y vois pas là matière à infortune

D’ailleurs, on habite aussi son absence.

Tout m’est demeure,

Et l’on meurt en tout.

C’est ici faire le tour des choses,

Même en passant,

Même de passage,

Dans le parti pris de la profondeur

De ces mêmes choses,

En train

Comme à l’hôtel,

Surtout quand on s’attache

À l’idée du détachement,

Relié

En permanence

À l’idée de l’impermanence.

Si l’on pouvait entendre ma voix

Plutôt que de me lire,

On se rendrait compte

D’à quel point elle est lasse,

Car, pour paraphraser Jean-Claude Pirotte

« J’ai beau parler bien bas, je tombe de haut ».

Mais ces derniers temps,

Il me semble

Que c’est de moins haut que d’habitude,

Que la hauteur recule,

Ou que diminue la chute.

Le constater est agréable,

Et ce qui est agréable

N’est pas à négliger.

D’ailleurs je ne néglige rien.

Je serais plutôt trop rigoureux.

Un dévot du redressement sans fin

Devant l’étroit désir du réel.

Car enfin,

Je le dis encore tout bas,

Je m’ennuie au café Martin,

Au Havane,

Au Ramus,

Au Bistrot du Métro,

Je m’ennuie à l’église,

Sur les quais de Seine,

Dans le Métropolitain,

En forêt et face à la mer,

Dans le Calvados,

Et parmi les tombes du Père Lachaise,

Sous le ciel et l’absence de ciel.

Life is so boring, confiait sur ses vieux jours,

Lawrence Durrell à Gemma Salem.

C’est le mauvais tour fait

À ceux qui ont fait le tour des choses.

Je m’ennuie, présent à moi-même,

Mais aussi absent.

Je m’ennuie de ce corps,

Joyeux ou inquiet,

Et de celui de la vie, quand elle en manque.

Mais aussi,

Des liens cachés dans lesquels je ne suis

Même pas pris.

Ce n’est là que l’affaire d’un moment,

Car tout passe.

Mais quelle affaire !

On dirait qu’elle n’est pas celle de tous.

Et pour contre paraphraser Pirotte :

« Je le dis tout haut, on tombe parfois très bas ».

Il n’existe pas de voyage plus beau que la tentation,

Et je suis désormais tenté de ne plus voyager.